Rock Hudson : Miroir d'une époque

Alexis Massoutier

Rock Hudson était une grande star d’Hollywood, connu pour son charme et sa virilité. Avec la sortie du livre Géant : Vie et mort de Rock Hudson d’Adrien Gombeaud chez Capricci et d’un coffret Blu-ray regroupant dix de ses films chez Elephant Films, on peut se demander : qui était vraiment cet homme ? Derrière l’image parfaite et le mythe se cachait quelqu’un qui devait vivre avec ses secrets et ses fragilités, dans un Hollywood où être différent n’était pas permis.

“Géant” : le roman vrai d’un homme double

Dès les premières pages, Adrien Gombeaud nous plonge dans la vie de Rock Hudson. Géant ne raconte pas seulement sa carrière, il montre un homme obligé de se cacher pour être heureux. Le livre commence avec Rock Hudson, la soixantaine, séropositif, pour après nous faire découvrir comment il a été façonné.

Dès ses débuts, Rock Hudson est sous la tutelle de son agent, Henry Willson, qui fabrique son image et impose une “virilité de studio”. Il lui fait suivre des cours de théâtre, de diction, et même des exercices pour « effacer un petit sourire trop féminin ». Petit à petit, Roy Fitzgerald s’efface pour laisser place à Rock Hudson. L’acteur confiera plus tard qu’il « piétine la petite fille en lui ».

 

Mais Géant ce n'est pas qu'une biographie, c'est aussi un parallèle avec l’histoire des droits LGBT+. Le livre fait le lien entre sa vie, l’évolution des droits queer et l’arrivée du sida. On y découvre ainsi qu'en 1969, Carl Wittman publie un manifeste appelant les homosexuels à sortir du placard : « San Francisco est un camp retranché homosexuel. Nous avons fui des quatre points du pays … parce qu’ailleurs, ta situation est insupportable ». À l’époque, le concept de placard est encore inconnu, et beaucoup n’avaient d’autre choix que de se cacher ou de créer des refuges sûrs face à la répression. Et pourtant, à la même époque, Géant précise que les homosexuels influençaient la mode : polos près du corps, bijoux pour hommes, etc… ce qu’on appelait le « vestiaire gay chic ». Un paradoxe : ceux qui étaient exclus des normes contribuaient aux grandes tendances chez les hétéros.

En 1985, Rock Hudson révèle publiquement sa séropositivité, une annonce qui choque le monde du cinéma et marque un tournant dans sa carrière.

L’écriture d’Adrien Gombeaud fait de cette biographie bien plus qu’un simple portrait : elle nous précipite dans une époque où être homosexuel était encore mal vu. Le livre se lit facilement, avec de courts chapitres qui mêlent souvenirs, témoignages et citations. On découvre un Rock Hudson intime et clair, où sa vie d’acteur se juxtapose avec l’histoire et les droits LGBTQ+.

On croise dans le livre plusieurs personnalités, comme Elizabeth Taylor, Sharon Stone, Nan Goldin ou encore Claudia Cardinale. Ces rencontres montrent à quel point Rock Hudson a marqué les gens autour de lui et le public. Avec Elizabeth Taylor, il partageait une amitié forte et sincère, faite de confiance et de soutien, surtout à une époque où il devait cacher sa vie privée. Claudia Cardinale, disparue récemment, parlait de leur relation simple et respectueuse, basée sur l’admiration et la complicité sur les plateaux. Avec Sharon Stone et Nan Goldin, on voit l’influence qu’il a eue sur les artistes et les photographes, et on découvre un homme vrai, voire sensible, derrière la star.

Ses films pour rejouer la légende

Ce coffret regroupant 10 films permet de redécouvrir Rock Hudson à travers plusieurs facettes : du jeune premier dans La Légende de l’épée magique ou Iron Man, à la star glamour de Le Rendez-vous de septembre, jusqu’au héros plus mélancolique de Les Yeux bandés et Tobrouk.

On suit toutes les transformations de l’acteur, à travers des films joliment restaurés qui respirent le charme des années 50-60 : décors de studio sophistiqués, costumes élégants, musiques jazzy et romantiques typiques de l’époque. Chaque plan, chaque dialogue reflète ce cinéma classique.

Certaines répliques résonnent aujourd’hui autrement, comme celle de La Légende de l’épée magique : « est-ce que l’emprise de n’importe quelle femme n’est pas pire que celle d’un serpent ? » une phrase qui, avec le recul, semble presque annoncer le secret de l’acteur.

On sourit aussi devant l’audace de certaines scènes, comme dans Confidences sur l’oreiller ou Étranges compagnons de lit, où l’on évoque l’idée d’hommes “enceints” présentée comme quelque chose de normal par un médecin, qui déclare : « sachez que la médecine a bien des régions à explorer ! »

Ce qui frappe aujourd’hui, c’est à quel point ses films mettent en valeur sa présence à l’écran : un jeu tout en retenue, un sourire désarmant, et ce mélange de virilité et de fragilité. Douglas Sirk, son mentor, fut le premier à voir ce qui se cachait derrière l’image lisse de Rock : « La caméra voit ce que l’humain ne peut détecter », disait-il. Entre eux, un lien presque familial se crée : Sirk voit en lui un fils retrouvé, et Hudson y trouve un père. 

Un vrai voyage dans l’âge d’or d’Hollywood et dans la carrière d’un acteur qui, avec tous ses films, n’a jamais arrêté de se réinventer. Même si tout Hollywood savait qu’il était homosexuel, Rock Hudson a su garder sa vie privée discrète dans son « château », sa maison où il pouvait être lui. Et puis à travers ses rôles, il a construit une image d’homme parfait, en arrivant à cacher ses préférences et en restant fidèle à lui-même.

Trente ans après sa mort en 1985, Rock Hudson demeure un symbole puissant d’une époque qui exigeait de taire sa différence. Longtemps réduit à son image de « beau gosse américain viril », il retrouve aujourd’hui, grâce au livre Géant et au coffret regroupant ses films, toute sa complexité d’homme et d’artiste, et nous permet de mieux comprendre son influence sur le cinéma et la culture queer. 

Géant Vie et mort de Rock Hudson d’Adrien Gombeaud, Ed. Capricci, 18 €

Rock Hudson - Portrait d'une légende - 10 Blu-ray, Ed. Elephant Films,  99 €

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