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Jona James, muse du photographe Marc Martin, percute les préjugés

Franck Desbordes

Samedi 2 novembre, jour où un premier boxeur transgenre va disputer un combat professionnel chez les hommes en France, So What?! la nouvelle exposition de Marc Martin s’ouvre à Berlin. Elle est consacrée à un jeune boxeur trans : Jona James.

Hasard du calendrier ou preuve qu’au-delà des frontières les mentalités finiront par évoluer sur tous les fronts ? Si Maho Bah-Villemagne s’apprête à bousculer le sport en général avec ce combat historique dans les quartiers nord de Marseille, c’est dans le légendaire quartier gay fétichiste de Berlin-Schöneberg que Marc Martin souhaite faire bouger les lignes. Avec So What ?!, le photographe attaché au corps masculin pourrait bien mettre KO les préjugés – y compris dans notre communauté.
Jeune boxeur trans berlinois de 26 ans, Jona James est donc le modèle unique de cet ouvrage (publié aux éditions Agua). A l’occasion de l’ouverture de cette exposition, Strobo a échangé avec lui pour titiller les transphobes de tout poil.


Bonjour Jona James. Peux-tu te présenter aux lecteurs de Strobo ?
Je suis libraire à Berlin ainsi qu'acteur au théâtre et modèle aussi. Je dirais que je suis quelqu’un de pétillant qui aime faire bouger son corps ; je suis très sportif, je viens de terminer mon premier semi-marathon. Ah, oui, et je suis transgenre et gay.

So What ?! est le nouvel ouvrage, sensible et passionné, du photographe Marc Martin qui t'es entièrement consacré. Tu joues tour à tour le bad boy et la tendresse. Est-ce un personnage que tu joues ou est-ce que cet ensemble dresse un portrait fidèle de toi ?
J'ai mis beaucoup de ma personnalité, de mon savoir-faire et de mes désirs dans ce projet. Mais c’est une œuvre d'art, pas un documentaire sur ma vie. Je joue avec mon identité mais c’est bien une performance d'acteur.  

Tu t'affiches comme étant un jeune homme trans épanoui. As-tu conscience que ce bonheur de vivre que tu représentes peut aussi être une arme redoutable pour lutter contre les préjugés des transphobes ?
Oui, les conservateurs veulent nous dépeindre, nous les trans et les queers, comme des personnes perdues, brisées, qui ont désespérément besoin d'être sauvées. Mais hormis la peur de la violence, je n’ai peur de rien. Je vis vraiment ma vie de la meilleure manière possible pour moi. Je suis en paix avec le fait de ne pas tout contrôler. J’aime que les choses soient fluides dans l'expression du genre et dans la sexualité. Les personnes qui me détestent à cause de ça ont juste peur que leur propre mode de fonctionnement s'effondre. En fin de compte, je dirais que ce sont elles qui ont besoin d'être sauvées.

En parallèle des photographies de Marc Martin (érotiques et politiques) figurent des textes de toi, sans langue de bois. Quels sont les autres préjugés que tu cherches à démolir à travers ce travail de modèle et d'auteur ?
Il est beaucoup plus difficile de haïr quelqu'un si vous le considérez comme une personne, un autre être humain, et pas seulement comme une identité ou un slogan. Je veux construire des ponts et aider les autres à comprendre que nous, les personnes trans, nous ne sommes pas si différentes des autres, après tout. J'espère que mes textes contribueront à sensibiliser non seulement les hétéros, mais aussi les homos. La réalité des vies trans n’a rien d’effrayant. Trouvons un terrain d'entente. Pour moi, c'est cela la « communauté » : essayer de se comprendre les uns les autres, puis s'aider mutuellement à s'élever.

Si tu expliques bien le cheminement de ta transition dans cet ouvrage, tu fais l'impasse sur les injections et c'est le poète Hugo Amour qui signe un texte très puissant sur le sujet. Pourquoi la poésie ? Est-ce une pudeur de ta part ?
Oh non ! Je n'ai aucune gêne avec ça. D’ailleurs, pour illustrer ce magnifique poème d’Hugo Amour, une photo a été faite juste après une injection. J’ai encore le pansement visible sur la fesse. Depuis 5 ans, je célèbre le jour de ma première dose de testostérone. C’est un jour particulier pour moi car, le 20 novembre, c’est aussi la « Journée Internationale du Souvenir Trans » en mémoire des victimes de transphobie. Et je me souviens de celles et de ceux qui ont été tué-e-s simplement parce qu'ils vivaient leur vérité.

Dans cet ouvrage, tu écris aussi que tu as choisi un mode opératoire qui laisse des traces. Pourquoi ce choix ? 
Beaucoup de gens pensent (encore) que l'objectif d'une personne transgenre est de passer pour une personne cis, comme si c'était la raison pour laquelle nous transitionnons. Je ne cherche pas à rentrer « dans le moule », je veux juste me ressembler. Parfois j'ai peur que mon homosexualité devienne invisible. Je ne veux pas cacher ma transidentité, je veux l'embrasser et la célébrer. Mon corps est politique et je veux que mes cicatrices soient la preuve visible de mon parcours. Même si j'aimerais parfois qu'elles ne soient pas au premier plan dans les yeux des gens, je suis toujours fier de les avoir, mes cicatrices.  

L'ouvrage consacre une large part au fait que tu pratiques la boxe. Une discipline sportive typiquement masculine et très homoérotique dans l'imaginaire pédé. Quels sont les clichés que tu souhaites déconstruire ici ?
La boxe m'aide beaucoup quand je me sens impuissant. Elle me rend plus fort. Mais elle n’est pas nécessairement liée à ma masculinité dans l’ouvrage. En tout cas, je m'efforce de la déconnecter de la masculinité classique. Je veux montrer qu'il n'est pas nécessaire d'être hyper-masculin pour être un homme et que je peux être fort (et sexy !) avec mon vernis à ongles et mes bandages roses. Je suis un pédé qui revendique son côté féminin. Ce côté féminin, c’est ma force et pas ma faiblesse.

Comment s'est passé ta rencontre avec Mathis Chevalier, ex-champion de MMA ? Tu poses avec lui sur le ring, dans les douches collectives et dans l'intimité d'une chambre. Raconte-nous.
Quand Mathis a vu les premières photos que Marc Martin avait prises de moi, je crois qu’il a été intrigué par la façon dont je jouais avec la masculinité. Nous avons tous les deux un lien avec la boxe et les sports de combat. C’est lui qui d’abord proposé à Marc de travailler avec moi. C’était dans le cadre de leur ouvrage « Tomber des nu(e)s ». J'ai été très touché. Nous sommes tellement semblables et totalement différents à la fois. J'aime la façon dont nos corps fusionnent ensemble, le fait qu'il soit plus grand et plus musclé que moi ne veut pas dire qu'il est le dur à cuire. Je ne suis pas qu'un petit Bambi. Les photos de Marc Martin montrent de la tendresse entre deux hommes qui sont tous deux très sûrs de leur identité mais qui restent ouverts et fluides. Sont-ils amants ? Sont-ils des potes de la salle de sport ? S’ils ont visiblement une connexion très spéciale, aucun sous-titre n’accompagne ces photographies. Mathis et moi n’aimons pas les étiquettes.

Quelles sont tes autres passions ? As-tu d'autres projets artistiques ?
J'adore me perdre dans un livre - et en parler comme un intello par la suite. Dans le domaine artistique, j’apprends beaucoup sur mon corps et sur ma voix. J’aime jouer la comédie. J’aime danser. J’aime performer. J’ai créé un personnage de dragueur trash appelé Violent Femme. Oui j'adore ce mélange des genres. Ça, c'est queer, baby !  

Que dirais-tu à tes frères et sœurs trans de France qui ne pourront pas voir l’expo So What ?! à Berlin ?Vous pouvez vous procurer le livre So What ?! de Marc Martin et Jona James aux Mots à la Bouche et en ligne -) Je suis très excité à l'idée de voir comment va se dérouler le vernissage et j'attends avec impatience de nouveaux projets avec Marc, Mathis et Hugo ! On forme une belle équipe soudée pour déboussoler les jalons rouillés.

So What?!, le livre aux éditions Agua (68 pages, 35 euros), avec Marc Martin, Jona James, Annabelle Georgen, Mathis Chevalier et Hugo Amour.

Exposition chez EisenHerz du 1er au 30 novembre 2024, Motzstrasse, 23 – 10777 Berlin.

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