Entre comics, bande-dessinée et manga : L’univers hybride de ABC BAZOOKA

Alexis Massoutier

Dans son nouveau one-shot intitulé ABC BAZOOKA chez Glénat, qui sort le 18 juin 2025, Yusaku Sawada propose une œuvre qui mélange les influences de la bande-dessinée, du comics et du manga. Une alchimie audacieuse pour explorer des thématiques comme les questions LGBTQIAP+, à travers une histoire de super-héros ados, où pouvoirs et différences se rencontrent.

Un récit captivant, où la lutte pour l'acceptation de soi et des autres se dévoile à travers des personnages riches, complexe et pleins de nuances. Ce one-shot promet une aventure palpitante mais aussi une jolie réflexion sur la différence, l'identité et la santé mentale. Yusaku Sawada nous accorde sa toute premiere interview. Rencontre. 

Bonjour Yusaku Sawada, ABC BAZOOKA est un mélange entre manga et comics. Qu’est-ce qui vous a poussé à fusionner ces deux styles et à créer cette œuvre hybride ?

J’ai découvert les Comics DC avec Batman quand j’étais petit.e, c’était mon premier contact avec la BD. Puis, après 10 ans, je me suis intéressé.e au manga et à l’animation japonaise, mais je n’aimais pas trop le dessin des visages, trop éloigné du réalisme pour moi. J’ai donc voulu garder un style manga tout en accentuant le réalisme dans mes dessins, ce qui m’a poussé à fusionner ces deux genres pour créer ABC BAZOOKA.

Votre œuvre aborde des questions importantes liées à l’identité et aux différences. En tant qu'auteur.trice sensible à ces thèmes comment avez-vous abordé ces thématiques dans votre récit, et en quoi cela influence-t-il l’évolution des personnages ?

Je me suis basé sur mon expérience personnelle, qu’elle soit lié à la sexualité, à la santé mentale ou à ma relation avec mes parents. Je n’ai pas mis tout cela dans un seul personnage, mais j’ai réparti ces thèmes personnels parmi les protagonistes de ABC BAZOOKA. Mon but était de donner du réalisme aux personnages en m’inspirant de ce que j’ai vécu en tant que personne réelle.

Les personnages principaux possèdent des pouvoirs qui les rendent à la fois uniques mais sont aussi marginalisés. Pensez-vous que ces pouvoirs peuvent être vus comme une métaphore des luttes sociales rencontrées par les personnes issues de minorités, y compris les personnes LGBTQIAP+ ? 

Oui, je le pense. C’est une métaphore des luttes sociales vécues par certaines personnes, mais aussi une manière d’exprimer les handicaps, y compris psychologiques. Il y avait une influence des X-Men aussi, mais plus centrée sur l’aspect mental des personnages et leur vécu, qui se reflétait à travers leurs pouvoirs. Cela m’a beaucoup inspiré.

Je voulais justement vous en parler. Est-ce que vous envisagez cette œuvre comme une version plus représentative des X-Men pour notre époque ?

Je suis content.e que vous en parliez, car c’était mon dilemme : combler ce manque sans en faire trop ou pas assez. Je n’ai pas lu les derniers X-Men, mais dans les premières œuvres, il y avait des descriptions psychologiques profondes des personnages. Ici, j’ai voulu inclure une expérience personnelle pour représenter des personnalités moins mise en avant dans le passé.

Aiko, la protagoniste, se distingue par son pouvoir mais aussi par ses origines. Selon vous, comment les personnages apprennent-ils à s’accepter malgré leurs particularités ?

Pour moi, ce n’est pas une question d’acceptation : quand on est trans, on vit avec, tout simplement. On est comme on est. Au Japon, c’est encore difficile à aborder, et je n’aurais pas pu traiter ce sujet de manière directe en mettant l’histoire dans mon pays, car cela aurait nécessité de nombreuses explications. C’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai choisi New York comme décor pour ma BD : là-bas, c’est plus naturel, il n’y a pas besoin de tout justifier.
Même si la situation actuelle aux États-Unis n’est pas idéale, les minorités y ont une visibilité différente comparé au Japon. Je voulais pouvoir développer mes personnages librement, sans avoir à justifier leur diversité. Ce n’est pas quelque chose à expliquer, mais un point de départ évident. 

Quelques choses de banal ? 

Oui, dans l’idéal, sans débat ni explications. Ici, c’est simplement évident d’être différent, et c’est ce que j’ai voulu représenter : une vraie diversité parmi les personnages. Mais je tenais à ce qu’on n’oublie pas leur personnalité propre.

L’histoire semble promettre beaucoup d’action, mais aussi une exploration intime des personnages, notamment autour de la santé mentale. Comment avez-vous réussi à équilibrer ces deux sujets dans votre récit, et comment les illustrations contribuent-elles à cette dynamique entre l'action et l’introspection des protagonistes ?

J’ai commencé cette BD avec l’envie de représenter visuellement tout ce qui touche à la santé mentale, à travers mes illustrations et les pouvoirs des personnages. Dans ma vie, je reste très lié à ces batailles intérieures que l’on mène tous et toutes avec nos émotions, nos sentiments, et j’ai voulu que ça transparaisse dans mes dessins et la création des personnages. Le manga montre les luttes internes qui peuvent parfois nous faire agir de manière étrange voire violente. Cela se reflète dans certaines scènes, selon la situation que vit le personnage. J’ai utilisé l’action pour illustrer ce qu’on ne voit pas à l’œil nu.

Bien que ABC BAZOOKA ait des éléments de super-héros, il semble aussi s’adresser à un public adolescent et adulte. Avez-vous voulu explorer des sujets difficiles, comme la solitude, la peur de l’autre et la violence, à travers des personnages jeunes, et quel impact espérez-vous avoir sur votre lectorat ? 

C’est une bonne question, merci. Notre communauté LGBTQIAP+ avance, puis parfois recule, lutte seul ou avec les autres mais il est essentiel que ce message touche autant les jeunes que les adultes concerné·es.

On peut brûler de passion, puis s’éteindre, fatigué·e par ce qui se passe dans le monde. Avec ce récit, je voulais dire qu’il ne faut jamais renoncer. Mes personnages rencontrent des obstacles, ils souffrent, mais ils continuent d’etre qui ils.elles sont. 

Pour conclure, quelle serait le message principal que vous souhaitez transmettre avec ABC BAZOOKA ? Que voulez-vous que les lecteurs et lectrices retiennent de cette œuvre entre action de super-héros et réflexion sur la différence et l’acceptation ?

La perfection n’existe pas, mais je voulais faire passer le message qu’il est important d’être bienveillant, avec les autres comme avec soi-même. Il faut respecter son propre rythme, en tant que personne, et essayer de faire de son mieux, à sa manière. 

Comme je le disais, on ne peut pas être parfait, mais on peut faire de notre mieux. Et surtout, on a le droit de se reposer quand on est fatigué. On a le droit de faire une pause, pour aisni repartir sur de bonnes bases. 

La communauté LGBTQIAP+ est très importante pour moi, j’en fais partie. On a parfois tendance à s’oublier soi-même en se concentrant sur les luttes à mener, et ça peut nous épuiser. Dans ces moments-là, j’aimerais que mon manga puisse offrir un moment de répit, à lire avec un bon café ou un thé, pour se ressourcer. 

Cette flamme intérieure, qui peut vaciller à cause de la fatigue ou de la lassitude, finit toujours par se rallumer. J’en suis convaincue. Certaines personnes peuvent s’éloigner un temps de la communauté, devenir plus silencieuses — ce n’est pas une trahison. C’est juste un besoin de se retrouver avec soi-même, et c’est tout aussi essentiel. 

ABC Bazooka, par Yusaku Sawada, Glénat, 15,99 euros.

 

ABC Bazooka, par Yusaku Sawada (c) 2025, éditions Glén

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