Articles / interviews

Arnaud Crame, co-fondateur des House of moda

Franck Desbordes

Quel est le concept de la House of Moda, comment est-il né et pourquoi ?

Avec quelques camarades de la nuit en 2010, nous souhaitions associer nos goûts pour la mode en tant que terrain de jeu, pour le look de soirée, et pour le monde du clubbing. Le nom « House of Moda » était un hommage à la culture ballroom que nous connaissions mal mais qui nous faisait rêver. 

La House of Moda a bouleversé les codes de la nuit parisienne ? Tu peux m’en dire plus !

La House of Moda a juste transposé dans les années 2010 à Paris, dans un milieu plus ou moins Queer, une pratique vieille comme le monde qui est de se créer un personnage pour faire la fête. Se travestir, se maquiller, se costumer, se déguiser, faire la belle avec des gestes exagérés, pour nous, c’est la base. Mais pour l’époque, c’était minoritaire. Les années 2010, c’était plutôt le retour à un esprit rave où l’individualité disparaissait au profit de la masse, et à un vécu de la fête comme une expérience psychédélique ou de pure défonce. Le côté égotrip et diva était cantonné à un Paris snob, alors que nous en avons fait quelque chose de l’ordre de la farce, accessible à tout le monde. 

Un thème, une soirée, une ambiance. House of moda était-ce un laboratoire, une zone d’expérience ?

A partir de 2012-2013, chaque édition de la House of Moda a eu son thème - « Bikeuse », « Jumeaux-Jumelles », « Futuristica», « Un Papa, une Maman », et chaque thème était un prétexte pour faire des recherches personnelles. Le stylisme, les matières, le maquillage, l’histoire que l’on veut raconter... Chaque fois il s’agissait de puiser dans son imaginaire, son bagage personnel, pousser ses propres limites. Construire son personnage de drag ou club kid ou autre, et le faire exister pour une House of Moda, c’est en dire beaucoup sur soi et son rapport à la société. Et collectivement, c’est une façon de créer une œuvre politique, ça dit ce que l’on veut, ce que l’on moque, ce qu’on admire, il y a tout un système de valeurs qui se crée sans qu’on l’énonce. 

Looké, overlooké, se laisser aller, le mouvement drag en pleine expansion actuellement a fait ses armes à la House of Moda ! Comment analyses-tu la genèse de ce phénomène ?

Le succès de l’émission RuPaul’s Drag Race a rendu le drag à nouveau populaire, alors qu’il était devenu très discret à Paris dans les années 2000. Nous n’avons pas conçu la House of Moda comme une soirée drag ; d’ailleurs il n’y en avait pas au début. Mais ça a commencé à démanger de plus en plus de personnes. OK il y avait RPDR et les tutos sur Youtube, mais il manquait un espace pour se montrer et se tester. La House of Moda était comme un bal des débutantes où les jeunes filles sont introduites au monde. Nous avons aussi petit à petit compris ce que le talent et la beauté des clubbers pouvaient apporter à la qualité de la fête, et nous sommes parmi les premières soirées de ces années-là à avoir booké des drags, à avoir incité nos fidèles à performer et affiner leur art dans une dimension professionnelle.

La House of moda avait-elle des limites, était-ce aussi un sas d’expression, de revendications, d’engagements ?

 Il y a eu environ 100 House of Moda au total. Ce n’était pas du tout la grand-messe de la nuit parisienne, ça a toujours été une petite soirée dans des petits clubs.Pour nous, c’est normal de faire la fête comme on le faisait, il n’y a rien d’extraordinaire à mettre une perruque. C’est plutôt quand on fait un pas à l’extérieur, quand on voit à quel point c’est compliqué d’aller choper un bus de nuit en talons, quand on entend les discours homophobes et autres discours intolérants qui ont explosé pendant les mêmes années, qu’on se rend compte qu’on est très très loin, très à la pointe de quelque chose, voire très radical. 

Beaucoup de drags doivent leur épanouissement au House of Moda. Ils y ont vécu leur naissance, comme des révélations, des inspirations ? Etait-ce le temple du no Gender, gender fuck, Gender Fluid ?

On a toujours revendiqué quelque chose de féminin, d’efféminé et de féministe, bien qu’étant globalement un truc de mecs cis. Mine de rien, ça nous distinguait pas mal d’une dynamique assez masculiniste dans les socialités gays, que ce soit dans le clubbing ou sur les applis. Et je pense que ça peut jouer un rôle assez positif.

 

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