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Queertube : Rebel Girl de Bikini Kill

Patrick Thévenin

Dans les années 90, le groupe de punk-rock américain a redéfini les contours du féminisme à grands coups de riffs de guitares électriques.

Au commencement, il y avait le fanzine féministe et rebelle Bikini Kill : un manifeste cinglant, façonné dans l’esprit do it yourself, photocopié à la hâte, débordant de collages et de lettrages rageurs. Fondé en 1990 par Kathleen Hanna, Tobi Vail, Kathi Wilcox, l’objet devient rapidement, et au fil des numéros, la bible du mouvement riot grrrl. Abordant, avant tout le monde, des sujets brûlants comme le sexisme systémique, les violences sexuelles et domestiques, l’autonomisation des femmes et des personnes queer, la sororité, ainsi que la nécessité de créer des espaces safe pour les femmes dans la musique.

Dans la foulée de ce cri de révolte imprimé à la photocopieuse naît le groupe du même nom. Kathleen Hanna, qui écrit la majeure partie des paroles, s’entoure de ses copines de fanzinat. Billy Karren, seul homme à bord, quitte le groupe The Go Team pour les rejoindre en tant que guitariste leader. Après des répétitions et des tournées menées à la sauvage, Bikini Kill sort un premier EP éponyme, produit par nul autre qu’Ian MacKaye des géants punk Fugazi, figure emblématique du hardcore américain. « Je me souviens exactement du premier concert que j’ai vu de Bikini Kill, raconte Ian MacKaye. La structure des chansons, la prestation, le charisme étaient indéniables. »

Six jours plus tard, MacKaye embarque le quatuor, tous âgés d’une vingtaine d’années à l’époque, aux studios Inner Ear d’Arlington, où ils passent l’après-midi à enregistrer ce qui allait devenir le cœur de la première sortie, furieuse, de Bikini Kill.

Les hostilités sont lancées. En quelques albums et une poignée de singles incendiaires – dont l’incontournable Rebel Girl – ainsi que des concerts mémorables, le groupe s’impose comme le pionnier du mouvement féministe riot grrrl. Rebel Girl s’imposant comme le morceau phare du groupe avec ses paroles devenues cultes aujourd’hui : « when she talks, I hear the revolution. In her hips, there’s revolution. When she walks, the revolution’s coming. In her kiss, I taste the revolution. » (quand elle parle, j’entends la révolution. Dans ses hanches, il y a la révolution. Quand elle marche, la révolution approche. Dans son baiser, je goûte la révolution)

Inspiré par le manque de femmes dans la scène punk et porté par le Riot Grrrl Manifesto publié par Bikini Kill, le mouvement prend de l’ampleur. Ce manifeste dénonce le sexisme ambiant et appelle les femmes à s’émanciper. Autour de ce cri de ralliement se forme une scène avec des groupes comme Bratmobile, Heavens to Betsy, Huggy Bear ou Excuse 17. Très vite, le mouvement dépasse le cadre stricto-sensu de la musique et s’impose comme un symbole du féminisme de la troisième vague dans les années 1990. Avec une volonté assumée de s’affranchir des discours trop intellectuels, les riot grrrls investissent le rock, l’autoédition et les réunions en non-mixité choisie, s’adressant en priorité aux jeunes femmes et aux classes populaires, les encourageant à créer et prendre possession de leurs propres moyens d’expression.

Séparé en 1997, Bikini Kill n’aura été actif qu’une petite dizaine d’années, mais l’empreinte qu’il laisse sur la scène punk féministe est considérable. Leur héritage inspire des groupes comme les Pussy Riot, qui défieront Vladimir Poutine dans les années 2010, ou encore Gossip, dont la leadeuse Beth Ditto n’a jamais caché son admiration pour le quatuor. Kathleen Hanna, quant à elle, poursuit l’aventure avec Le Tigre, un projet plus dansant et pop, ouvertement lesbien, marqué par Deceptacon. Un tube incontournable du Pulp, le club qui a secoué dans les années 2000 comme jamais le clubbing lesbien et parisien. Réformé en 2019 pour une tournée à succès à travers les États-Unis et le reste du monde, Bikini Kill a prouvé que son message et son héritage restent plus que jamais d’actualité en ces temps troublés. Malheureusement pour les fans, le groupe a précisé que cette tournée ne signifiait en rien un retour en studio pour un nouvel album à ajouter à leur édifice féministe.

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