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Arthur Vauthier, un gay à sa fenêtre

Xavier Héraud

Arthur Vauthier, un gay à sa fenêtre Le créateur du Projet Pieuvre lance une nouvelle web-série, La chambre d’Orso, dans laquelle il continue de montrer une vision naturaliste de la vie gay. 

S’arrête-t-il jamais ? En arrivant chez Arthur Vauthier pour l’entretien, on croise en bas de l'immeuble l'un de ses comédiens fétiches. Et lorsqu’on pénètre dans le salon, on constate effectivement qu'il vient de tourner un épisode de sa nouvelle web-série, La chambre d’Orso. Arthur Vauthier a grandi à côté de Dijon. Il en est parti à 19 ans pour faire des études de cinéma à Paris, sans regret. « J'avais hâte d'arriver à Paris, je crois. Il n'y avait pas d'alternative dans ma tête. Et il n'y en a toujours pas aujourd'hui. J’aurais du mal à partir. », confie-t-il. Lorsqu’on lui demande comment c’était de vivre en tant que gay du côté de Dijon, il répond «pas ouf», mais se souvient avec une certaine tendresse de ses soirées dans l’un des deux bars gays de la ville, Le Faune. 

Kiss-ins contre l’homophobie

En arrivant à Paris, il avait une idée bien précise : devenir scénariste. Il échoue à rentrer à la Femis et se retrouve à l’Université de Paris VIII, à Saint Denis. Lui qui ne se considère pas spécialement militant se fait connaître de cette manière pendant ses années étudiantes, en 2009, via l’organisation avec un ami de plusieurs kiss-ins contre l’homophobie dans Paris. Il en a l’idée à Dijon, lorsqu’une copine l’emmène voir un flash mob sur l’une des places de la ville. C’est l’un de ces événements, très en vogue à l’époque, où celles et ceux qui sont mis au courant, au son d’un coup de sifflet, s’arrêtent soudain de bouger, au milieu d’une foule interloquée : « il y avait un côté Charmed dans cette scène où on était tous figés d'un coup, se souvient Arthur Vauthier. Ça m'a beaucoup amusé de le faire. Et je me suis dit, la même chose en s'embrassant avec des couples de même sexe, par surprise, ça pourrait être hyper chouette. Ça devait être un moment où j’avais un copain et on n'osait pas trop s'embrasser en public. Donc à ce moment-là, tout fait un peu sens comme ça, dans ma tête. Après j'ai découvert que ça existait déjà depuis longtemps, je n'avais rien inventé. » 

Lors du premier événement, qu’il organise avec un ami, Felix, sur l’Esplanade du Trocadéro, il n’y a qu’une poignée de personnes. Mais l’info circule et l’affluence ne cesse de gonfler lors des éditions suivantes, aux Halles, puis devant les Grands magasins. Plusieurs villes s’y mettent à leur tour et des kiss ins s’organisent même à l’étranger. Jusqu’à ce que les organisateurs se trouvent un peu dépassés par les événements. Alors qu’un kiss-in est prévu devant Notre Dame, la police prévient Arthur que des militants d’extrême droite ont prévu de venir agresser les participant.es et conseille d’annuler le kiss-in. Ce dernier a finalement lieu à quelques encablures, près de la Fontaine Saint Michel. Les quelques téméraires qui sont allés s’embrasser devant Notre Dame sont agressés par les fachos. 

Après ça, le scénariste fonde le Glup une inter associative des associations LGBT des universités parisiennes. Il s’y investit quelques années, puis passe à autre chose. Ses années militantes sont maintenant bien derrière lui : « je me sens vraiment hors du circuit militant complètement. Pour moi, le militantisme, maintenant, ça passe par des projets vidéo, par l'écriture, par la discussion avec des gens. J'aurais du mal à m'investir dans un cadre associatif. » 

Hobby plutôt que métier 

Côté études, il baisse les bras et renonce à devenir scénariste professionnel : « je crois qu'à ce moment-là, je me suis dit que je n’allais pas y arriver. Je ne vais pas réussir à travailler dans ce métier. Je ne vais pas être scénariste. C'est trop compliqué. Donc, j'ai trouvé un job à côté et j'ai fait mes projets sur mon temps libre. Je me suis dit, en fait, toute la partie créativité que j'aime bien, ce sera plus un hobby qu'un métier.» Lui qui adore les soaps, aussi bien parodiques comme Le cœur a ses raisons que ceux qui sont plus premier degré, se lance dans l’écriture et la réalisation de web-séries, dont les épisodes sont publiés sur les réseaux sociaux. 

La première qui rencontre un peu de succès c’est les Kidults, qui met en scène trois colocataires filmés en plan fixe dans leur salle de bains et dans laquelle il joue également. Puis, il y a le Projet Pieuvre, 1440 épisodes d’une minute en plan fixe là aussi, diffusés sur Instagram chaque jour pendant 4ans, entre 2018 et 2022. Les arcs narratifs, les « tentacules », permettent de suivre de nombreux personnages —gays pour la plupart, mais pas que— dans leur quotidien : rencontres, amitiés, relations, boulot, solitude, chemsex... Pourquoi ce format ? Il vante la liberté que lui laissent les réseaux: «Pour Pieuvre, on a été censuré sur deux ou trois choses, on a quand même pu aborder des sujets de manière hyper frontale. J’ai fait un peu ce que je voulais, quand je voulais, et ça c'était assez jubilatoire.» Et puis, le fait de s’autoproduire lui permet de s’affranchir de la validation des circuits de production traditionnels : « quand j'ai un feu sacré à l'intérieur de moi pour faire un projet, si tu me dis qu'il faut attendre la réponse de machin pour le faire et que ça prend 6 mois d'avoir cette réponse… dans 6 mois je n'aurais peut-être plus envie de le faire. L'énergie que j'ai eue, j'ai envie de surfer dessus, pas d’attendre.» Ces projets finissent par lui donner la confiance qui lui a fait défaut lors de ses études pour passer du hobby au métier. Il suit une école de scénariste, entre 2019 et 2021. Et travaille aujourd’hui comme scénariste pour la série Ici tout commence pour TF1.

La chambre d’Orso 

Il n’en a pas fini pour autant avec les web-séries faites à la maison. Après la fin du Projet Pieuvre, dont le rythme de publication avait fini par l’épuiser, il « replonge » aujourd’hui avec La chambre d’Orso, filmée dans son appartement. Le verbe replonger n’est pas anodin, car le scénariste reconnaît volontiers une « forme d’addiction » : « à quoi, je ne sais pas. Il y a deux aspects, je pense : la dimension de publier quelque chose « quand j'ai un feu sacré à l'intérieur de moi pour faire un projet, si tu me dis qu'il faut attendre la réponse de machin pour le faire et que ça prend 6 mois d'avoir cette réponse… dans 6 mois je n'aurais peut-être plus envie de le faire. L'énergie que j'ai eue, j'ai envie de surfer dessus, pas d’attendre » 36 et les réactions des gens, il y a une satisfaction là-dedans qui n’est pas négligeable. Mais avant ça et avant les Kidults, il y avait des projets où il devait y avoir peut-être 10 personnes qui regardaient. Et ça ne m'a pas empêché de faire 400 épisodes pour l'un d’entre eux. Je pense que je suis addict aussi au fait de créer.»

Contrairement au Projet Pieuvre qui multipliait les lieux, La chambre d’Orso, comme son nom l’indique, restera dans une pièce unique. « C'est un peu triste, le côté enfermé chez soi, mais bon, c'est un peu notre époque », indique-t-il. Il aimerait que cette nouvelle série « parle de notre monde, de comment on est aujourd'hui dans l'état du monde ». « Enfin, nous précise-t-il, de notre point de vue de parisien, où ça va encore à peu près mais où on a quand même un peu une visibilité de ce qui se passe ici et là de l'anxiété que ça peut générer. » Cette fois, il tient le rôle du personnage principal (c’est lui qui joue Orso). Il y a déjà une raison pratique : il a moins à jongler avec l’emploi du temps des autres personnes pour le tournage et puis, ajoute-t-il : « je pense que ça m'aide aussi à digérer la vie. Il y a quelque chose, comme un exercice de style, de l’ordre du journal intime ou du blogging. Il y a pas mal de choses de ma vie que je remets dedans, en un peu différent. J'imagine que le fait de les refaire fait du bien. Je me suis rendu compte qu'il y avait en fait une grosse dimension thérapeutique à faire ce type de projet. Et que j'assume aussi qu'en partie je le faisais pour moi. » Il a annoncé à ses amis avoir malgré tout fait une concession : ne publier « que » trois épisodes par semaine, au lieu d’un tous les jours. Accro, certes, mais il se soigne. 

Crédit photos : Xavier Héraud

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