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Edito Strobo #41 avril/mai 2025 : logiques de consommation

Franck Desbordes

Nous sommes tombés dans un schéma ultracapitaliste où décidément, tout est devenu objet de consommation. Nos sorties, nos applis, nos jobs, nos relations sociales, etc., tout se consomme désormais ou est affilié à un concept similaire. Il suffit d’ailleurs de regarder les applis installées sur un smartphone pour dresser (souvent trop vite) le profil de son ou sa propriétaire. Même nos moments intimes trouvés sur Grindr ou sur les autres applis de rencontre sont devenus des moments paramétrés : les individus « disponibles » (les produits) sont fiché.e.s sur un ensemble de critères, ces derniers permettant de faire un tri pour aller droit à l’objectif : obtenir une prestation (le plaisir) telle que nous l’avons imaginée, paramétrée, construite… pour ne pas dire : commandée.

Par la somme de l’ensemble de nos paramètres générés, par notre consommation et nos visites numériques, nous sommes nous-mêmes devenus des produits sans nous en rendre compte. Les services numériques connaissent nos actions, nos comportements, nos envies, nos opinions et dressent ainsi notre profil social, politique et commercial. Tous ces indicateurs valent de l’or et nous rendent manipulables. Les publicités et vidéos virales qui nous sont proposées sur les réseaux sociaux ne sont pas le fruit du hasard mais le fait de nos « auto-ciblages ». La loi sur la gestion des données personnelles devait corriger à la marge les dérives du système mais elle n’y répond que très peu dans les faits. Et pour ce qui est de nos consommations non-numériques, c’est la publicité traditionnelle qui nous influence souvent, ainsi que la notoriété des marques et produits, elles-mêmes souvent construites et financées complètement artificiellement à grands coups de milliards de dollars.

Que les lecteurs libéraux de Strobo mag ne s’inquiètent pas, je ne suis pas en train d’établir une pseudo analyse visant à appeler à la révolution bolchévique. Loin de là. Il existe un espace immense pour un capitalisme raisonné et raisonnable, maitrisé et respectueux des valeurs portées par nos démocraties. Mais en ces temps où Trump – qui n’est ni raisonné ni raisonnable – s’érige en transphobe-lgbtphobe absolu, en ces temps où il cherche à affaiblir économiquement et idéologiquement l’Europe et nos valeurs, le moyen de riposte des peuples n'a jamais été aussi facile à mettre en place : le boycott. Car, comme je le rappelais dans l’édito du numéro 38 de Strobo mag à propos de la télévision : « c’est le peuple qui a la télécommande dans la main, pas Bolloré. Lui n’a que l’argent (celui que l’on veut bien lui donner) ». Malgré les manipulations visant à guider nos achats, nous gardons la liberté de consommer ce que nous voulons, là où nous le voulons. Alors bien sûr, nous ne saurions trop vous déconseiller d’acheter une Tesla en ce moment, c’est un peu passé de mode… Mais peut-être, dans la multitude de marques américaines disponibles (vêtements, fast-food, services numériques, etc.) pouvons-nous acheter moins ? Pour nous orienter sur des marques européennes, voire françaises, quand c’est possible et qui portent les valeurs du vivre-ensemble. Il y en a ! Toutes les entreprises ne font pas du « pink-washing ». Strobo n’hésite d’ailleurs pas à vous en présenter de temps à autres.

Il reste malgré tout compliqué pour beaucoup d’entre nous de quitter les réseaux sociaux X, Facebook, Instagram, etc, tout simplement parce qu’il n’y a pas de véritables solutions alternatives pour l’instant (contrairement à Tesla). Et non, ce n’est pas parce qu’un de vos amis est sur X qu’il est d’extrême-droite ou soutien d’Elon Musk. C’est juste que Bluesky n’a pas encore les audiences nécessaires. Ça viendra… on espère. Il nous faut individuellement boycotter ou diminuer nos achats et nos visites seulement si cela est possible, et c’est déjà beaucoup.

On a tendance à opposer systématiquement capitalisme et humanisme. Dans le cas présent, il s’agit d’utiliser le premier à bon escient pour sauver le deuxième. Il nous faut sortir des schémas de consommation non-réfléchie. Acheter, c’est un peu comme voter. Il nous faut affaiblir nos adversaires et leurs complices et soutenir nos allié.e.s. Pour nous, personnes LGBTQIAP+, il est urgent de nous défendre : le boycott est une arme redoutable et efficace.

Et puis, la culture, l’histoire et le savoir sont d’excellents palliatifs à la boulimie néolibérale dans laquelle nous avons été avalé.e.s. Et ce sont de beaux outils pour ouvrir les yeux sur les autres. 

Franck Desbordes, directeur de la publication

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