Au lieu de se laisser décourager par la série de backlash qui nous parviennent d’Amérique, cette exposition qui inaugure la semaine des Fiertés dans la capitale européenne met les pieds dans le plat. L’artiste Marc Martin appelle à l’unité - y compris au sein de la communauté : toutes les vies se valent ! Vernissage à LaVallée-Bruxelles le vendredi 9 mai. Pisse froid et rabat-joie ? En PLS !
Strobo : Bonjour Marc, ta nouvelle exposition « Mauvaises Vies ? » se veut sans indulgence pour l’étroitesse d’esprit, la pudibonderie et le repli sur soi…
Marc Martin : N’essayons pas d’être « respectables » à tout prix dans le regard des autres. Ceux qui nous haïssent nous haïront quoi qu’on fasse. Ils détestent plus ce que nous sommes que ce que nous faisons. Alors aimons-nous, amusons-nous et prenons notre pied ! Montrons-leur à quel point ils sont pitoyables.
L’affiche de ton expo représente une personne racisée et transgenre devant les couleurs du drapeau arc en ciel dans l’espace public : tout ce qui hérisse le poil de Trump…
Pour moi, la force de cette photo est surtout dans le sourire de Darren (Darren est le prénom du modèle, NDRL). Depuis la réélection de Trump, chaque jour nous plombe. Résistons en souriant. Dans la mode, on dit souvent qu’il faut faire la gueule pour être sexy. Dans « Mauvaises Vies », je montre tout le contraire : le bonheur sans complexes est la meilleure arme contre les rabat-joie.
Tu t’es longtemps focalisé sur la masculinité « classique », mais ton précédent ouvrage (« So what ?! ») faisait déjà le portrait d’un jeune homme trans. Pourquoi ces choix ?
Parce que mes neurones ont été chahutés par un édito de Thomas Vampouille. (On embrasse nos confères de Têtu au passage, NDLR). Il disait très justement que la transphobie était aujourd’hui le véhicule privilégié des réacs pour répandre la haine et nous diviser à l’intérieur de la communauté LGBTQI+. Il a raison ! Alors faisons bloc autour des premiers ciblés, qui ne seront pas les derniers si on ne résiste pas !
As-tu reçu des messages hostiles ?
Jamais en face. Mais chaque fois que je poste des photos liées à la transidentité sur Instagram, je perds des followers et je suis contraint de modérer certains commentaires. Je sens bien que, dans mon audience - majoritairement des hommes qui aiment des hommes a priori-, tous ne sont pas prêts à accueillir cette masculinité plurielle. Alors j’enfonce le clou. Les homos ont longtemps reproché aux hétéros de ne pas leur donner les mêmes droits qu’eux. Pourquoi reproduire ce schéma dont nous avons souffert ? Pour moi, les gays ou lesbiennes transphobes sont des traitres à notre cause commune.
Tes images, qui touchent souvent à l’intime, peuvent sembler crues par rapport au militantisme traditionnel…
L’intime est politique, montrer son cul redevient un signe de rébellion. On vit une période tellement obscène ! Quand Marion Maréchal-Le Pen hurle au « complot woke » face à la cérémonie d’ouverture des JO, c’est elle que je trouve obscène. La régression des droits acquis de haute lutte est à nos portes, mais je pense qu’on peut lutter. Moi, mes armes, ce sont mes photos. L’art peut l’art faire bouger les lignes. Humainement, artistiquement et sexuellement. Le désir sexuel et ses pratiques débordantes restent trop souvent confinés au statut de questions individuelles alors qu’il faudrait les penser de façon politique.
En tant qu’artiste, ton curseur, niveau décence, est-il tactique ?
Les réseaux sociaux nous infusent des valeurs puritaines « made in USA » et instaurent la censure partout, y compris dans notre inconscient collectif. Dans « Mauvaises Vies ? », il y a des portraits des personnes à poil - et fières de l’être - parce que nudité rime avec liberté. En matière de sexualités, la multitude des pratiques montre l’éventail de notre diversité. J’ai parfois entendu, notamment de la part des plus jeunes, que les chars d’association fétichistes dans nos marches des fiertés, étaient une honte pour la communauté. Que de voir défiler « les gros » ou « les vieux » en harnais ou en cuir les mettait mal à l’aise et que ça renvoyait une sale image à l’opinion publique. Je pense profondément le contraire. Montrons-nous tels qu’on est, fiers de nous : toutes les vies se valent.
Petite parenthèse, tu es en effet le photographe officiel des Ours de Paris cette année…
J’ai réalisé les portraits des 8 finalistes pour l’élection de « Mister Ours 2025 ». Ça s’est passé dans les vestiaires collectifs d’une salle de sport. Les clichés seront exposés à LaVallée-Bruxelles sous ce slogan : « Je suis gros, je suis pédé, je suis un gros pédé ».
La salle de sport, les vestiaires collectifs, les toilettes publiques, sont des motifs récurrents dans ton travail.
Pour les garçons qui s’écartent de la norme, ces « lieux de promiscuité virile » sont souvent d’abord un lieu de traumatismes et d’humiliations. J’étais efféminé quand j’étais gosse. Je n’étais pas encore conscient de mon homosexualité mais on me traitait déjà de « pédé » à l’école. J’ai surmonté ça. Mais dans mes souvenirs, les cours de sports étaient les plus vexants. J’étais toujours le dernier choisi quand il fallait constituer des équipes. Et accueilli par des « oh putain non, pas lui ! ». Ça laisse des traces. Aujourd’hui, je renverse le stigmate. Dans mes photographies, ces lieux sont devenus des formidables terrains de jeux pour déconstruire les stéréotypes.
Restons sur le ring avec Mathis Chevalier : Comment est née cette séance photo entre ton fameux modèle (ex-champion de MMA) et Koko Barno (boxeuse trans et mannequin pour Jean-Paul Gaultier) ?
Les sports de combats ne sont pas réputés comme étant les disciplines les plus ouvertes… Mathis a joué le rôle de passerelle entre les mondes. Un rôle de militant pour la liberté sexuelle. C’est lui qui m’a présenté Koko. Le charisme et l’alchimie entre ces deux-là est magnétique. Les clichés présentés dans l’expo vont mettre les préjugés au tapis. Le 13 mai, Mathis et Koko débattront à LaVallée-Bruxelles autour de la transphobie dans les sports de combats. Un vrai coup de poing dans la face des homophobes.
Qu’est-ce que les Sœurs de la Perpétuelle Indulgence viennent faire là ?
Les Sœurs battent le trottoir depuis plus de 30 ans. Elles choquent, elles aguichent mais on oublie souvent leur message de prévention contre le sida et contre les exclusions. Elles prônent la tolérance et la paix. Sur ce cliché, Sœur Pandora et Novice Cosmolope s’en donnent à cœur joie pour « défroquer Monsieur le curé ». C’est Sœur Pandora qui a fait le vœu de voir le prêtre incarné par Mathis Chevalier… lequel ne s’est pas fait prier pour se soumettre à la tentation. Toute la série sera montrée à Bruxelles.
Qu’est-ce qu’on pourra voir d’autre dans cette expo ?
Beaucoup d’amour. Parce que l’amour, faire l’amour, donner de l’amour a toujours été au cœur de tout mon travail. Même dans la souille, les gens qui s’aiment sont toujours les plus beaux et les plus forts. L’installation « Choisis l’amour », dont tu as déjà partagé quelques extraits sur les réseaux, va sans doute marquer les esprits… Raconte-nous sa genèse.
Il s’agit d’une série de 80 diapositives projetées en boucle. J’ai pris ces clichés le 15 février lors de la première « Pride d’hiver » organisée à Berlin 15 jours avant les législatives pour appeler à voter pour des partis qui défendent la diversité, la tolérance et l’égalité des droits. A l’image du slogan « Wähl Liebe » (Vote pour l’amour en français), la rue était remplie d’amour et d’espoir. Ces photos en témoignent et rendent hommage à la mobilisation des participants pour nos valeurs.
LaVallée, une ancienne usine devenue espace de création, promet une scénographie hors-pair. Peux-tu nous en dire plus ?
J’ai la chance de travailler avec le grand décorateur belge Tanguy Thirion qui vient du monde du cinéma. L’atmosphère de l’expo sera donc cinématographique. Le lieu s’y prête, LaVallée est un espace de créativité et de mixité incroyables ! Mais l’endroit est menacé de fermeture (lire l’interview de Pierre Pévée, manager de LaVallée page 54, NDRL).
La RainbowHouse et VisitBrussels, partenaires de ton expo, annoncent une « Safer Pride ». « Mauvaises Vies ? » en tient-elle compte ?
Dans un contexte où les minorités sont de plus en plus en danger, la protection des plus vulnérables est un combat de tous les instants. La scénographie s’appuie sur cette idée de protection et s’articule autour de « safe place ». Confronté aux résistances et aux obstacles, le public – queer ou pas – sera incité à enrichir sa compréhension des enjeux de la lutte pour l’émancipation et contre la stigmatisation.
Un dernier message aux lecteurs de Strobo mag ?
Rendez-vous à LaVallée-Bruxelles. Le vernissage (le vendredi 9 mai, NDLR) tombe en plein pendant les ponts, alors visitons Bruxelles ! Cerise sur le gâteau, à partir de 18h Benjamin (le modèle de « Beau Menteur », alias @Personne_Public, NDLR) va mettre le feu dans une performance magistrale ! Et à partir de 21h, soirée Clubbing sur place avec le DJ culte Maurizio Athome. Venez tous-tes. Tout est gratuit.
Marc Martin, « Mauvaises Vies ? »
LaVallée - Bruxelles Exposition du 9 au 23 mai 2025 (13h-19h) /vernissage le vendredi 9 mai à partir de 18h /LaVallée, rue Adolphe LaVallée 39, 1080 Bruxelles.