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La Queer Palm a 15 ans, plus folle la croisette !

Yannick Barbe

Depuis 2010, au Festival de Cannes, la Queer Palm récompense des films aux thématiques LGBTQIA+. Son fondateur, notre confrère journaliste Franck Finance-Madureira, déroule ses souvenirs d’un prix autant militant que festif.

Te souviens-tu de ce que tu faisais à cette même époque il y a 15 ans ?

Oui, j’écrivais aux organisateurs du Festival de Cannes pour les informer que j’allais créer la Queer Palm, un prix qui s’inspirait des Teddy Awards de Berlin.

Ils t’avaient répondu ?
Non, mais au moins je les avais prévenus qu’on arrivait ! [rires]. 

La Queer Palm a démarré un peu à l’arrache donc… 

Oui, ça s’est fait très rapidement, en deux mois. La première année, dans le jury, je n’avais pris que des journalistes et des programmateurs. Ensuite, on a eu des représentant.e.s des différents métiers du cinéma : réalisateur.ices, acteur.ices… La Queer Palm est un prix off mais des relations se sont nouées entre l’équipe du Festival et la nôtre et, à partir de la troisième année, on a pu monter les marches. Un joli moment, notamment pour certain.e.s membres du jury pour qui c’est une première. Entendre son nom annoncé au micro en haut des marches, ça fait toujours un drôle d’effet. On a aussi la chance que les sélections parallèles, comme la Quinzaine des cinéastes, la Semaine de la critique et l’ACID [Association du cinéma indépendant pour sa diffusion] nous accueillent comme n’importe quel autre jury. Quinze ans après sa création, le prix est respecté par les différentes sélections cannoises. 

Et par le milieu du cinéma en général ?

Oui, il a tout de suite très bien accueilli le prix. Si la Queer Palm existe encore, c’est parce qu’avec des producteurs, des distributeurs qui aiment notre travail et qui croient en son importance, on a créé une sorte de club des partenaires. Ce sont eux qui contribuent à notre budget participatif qui fait en sorte qu’on puisse mener à bien nos actions chaque année. On arrive à avoir des partenariats ponctuels sur la soirée de remise des prix, comme l’année dernière avec la plage Magnum. 

Nous avons organisé un concert-surprise d’Aloïse Sauvage, c’était absolument génial. Mais il faut savoir qu’en France il y a une sorte de plafond de verre pour toucher de gros annonceurs sur les thématiques queers. Je ne désespère pas. Depuis 15 ans, on remet un diplôme à nos lauréats, il serait peut-être temps qu’un créateur de mode discute avec nous de l’éventualité de créer un trophée reconnaissable. Cela pourrait créer l’événement ! La Queer Palm distingue des films présentés dans les différentes sélections cannoises. 

Y a-t-il plus de films sélectionnables maintenant qu’il y a dix ans ? 

Aujourd’hui, on sélectionne entre 15 et 20 films. La première année, il n’y en avait que quatre ou cinq et très honnêtement, ça s’est résumé à un duel entre Les Amours imaginaires de Xavier Dolan et Kaboom de Gregg Araki.

Et c’est Kaboom qui avait gagné…

À titre personnel, j’en étais particulièrement heureux. Gregg Araki est un réalisateur très important dans mon rapport au cinéma et à la vie. C’était très symbolique. On était au début de cette phase de normalisation où le queer, notamment dans le cinéma occidental, ne faisait plus débat : il fait partie des personnages, de l’histoire. Après, il y a encore des pays où ça doit être le sujet, parce qu’il n’est pas du tout représenté. Je pense à Joyland, de Saim Sadiq, Queer Palm en 2022, film pakistanais sur l’amour entre un jeune homme et une femme trans. 

Ou encore au film roumain Trois kilomètres jusqu’à la fin du monde qui a gagné l’année dernière. Si j’ai choisi le mot « queer » pour créer la Queer Palm, c’est parce que j’avais envie de quelque chose d’à la fois politique et très large. Quand un film a un propos féministe très fort, je pense qu’il doit être débattu chez nous. Le queer pour moi, c’est une forme d’intersectionnalité.

« Il faut récompenser un film pour son cinéma, on n’est pas la police queer ». Cette phrase, tu l’avais dite à l’un des membres du jury. Qu’est-ce que tu voulais dire par là ?

C’est ce que j’énonce toujours en préambule des débats aux membres du jury. Il ne s’agit pas de récompenser le film qui parle le mieux du queer. C’est un prix de cinéma, on n’est pas là pour donner des bons ou des mauvais points à un.e cinéaste. L’idée d’être à Cannes, le plus grand festival du monde, c’est de parler de cinéma avant tout.

Cela me fait penser aux propos de Xavier Dolan, Queer Palm en 2012 pour Laurence anyways, qui avait exprimé dans la presse son « dégoût » pour ce genre de prix qui représentait selon lui une sorte de ghetto. Propos qui avaient choqué beaucoup de monde…

Je me souviens avoir répondu dans Le Monde à l'époque qu'on n'avait pas tous la chance d’être né dans le milieu bobo arty de Montréal ! Je pense qu’il y avait une incompréhension de sa part. C’est un cinéaste et un homme qui a grandi. On s’est reparlés longuement depuis : il a reconnu son erreur et s’est excusé. Ce n’est pas toujours facile de trouver son public quand on est issu d’une minorité et je pense qu’il a compris que le public queer l’avait quand même porté. La baseline de la Queer Palm c’est « open-minded award since 2010 », donc nous prônons l’ouverture.

Les distributeurs acceptent-ils tous de mettre le logo de la Queer Palm sur les affiches de leurs films ?

C’est très variable, ça se joue vraiment au cas par cas. Mais, très honnêtement, en 15 ans, je pense que ce n’est arrivé peut-être que deux fois que le logo ne soit pas sur l’affiche. Certains l’utilisent beaucoup pour vendre les films à l’international parce que le prix est aussi reconnu dans pas mal de pays. 

L’année dernière, tu as lancé le Queer Palm Lab qui accompagne des projets de films dès leur genèse. Peux-tu nous en dire plus ?

En 2020, le Festival a été annulé en raison du Covid. Une année sans Cannes, il a fallu s’occuper ! On s’est aperçu qu’on recevait de plus en plus de mails de jeunes cinéphiles désemparé.e.s. On a réalisé qu’il y avait une vraie problématique autour du fait de réaliser un premier long métrage sur les thématiques queers. On a donc créé le Queer Palm Lab dont le but est d’aider chaque année cinq futur.e.s cinéastes à se professionnaliser. Les plus grosses armes dans ce métier sont la visibilité et le réseau. Du coup, on parle beaucoup de leurs projets en cours, on les aide à faire des pitchs filmés qui seront diffusés sur notre compte Instagram. On les a emmené.e.s en résidence, co-organisée avec le festival de Morelia au Mexique. Douze jours avec une tutrice, la productrice Marie-Pierre Macia qui est une experte en consultation de scénarios et qui leur a fait des retours extraordinaires. Et puis on a organisé des rencontres avec des professionnels : Ira Sachs, Antoine Chevrollier, Nahuel Pérez Biscayart… Cette année, ils et elles seront avec nous à Cannes. Pouvoir pitcher son film au Festival, c’est une jolie entrée en matière pour eux. L’année se terminera en juin, on aura la deuxième promotion qui commencera en septembre et pour laquelle les inscriptions sont en cours (sur le site queerpalm.org) et qui sera marrainée par la cinéaste Charlotte Wells qui a réalisé Aftersun avec Paul Mescal. Mais on va rester en lien très étroit avec ces premiers films qu’on va suivre évidemment sur toute leur vie. Cinq élus sur combien de dossiers reçus ?

250 provenant de 37 pays différents. Les 5 élu.e.s viennent de France, du Mexique, de Colombie et d’Espagne. Ils et elles ont entre 25 et 50 ans. Je ne voulais pas de limite d’âge, c’est très important pour moi. Jacques Audiard a commencé le cinéma à 40 ans passés !

Ton souvenir le plus émouvant de la Queer Palm ?

Il y en a beaucoup ! Je pense à la remise de la Queer Palm à Lukas Dhont pour son premier film Girl, en 2018. Il était tout jeune, il avait une passion pour le Festival de Cannes et il m’avait dit que son rêve était d’y gagner la Queer Palm. C’était hyper émouvant. Le lendemain il remportait la Caméra d’Or ! Cela m’a fait très plaisir qu’il soit le parrain de la première promotion du Queer Palm Lab. Je pense aussi au jury de 2017, présidé par le cinéaste indépendant américain Travis Mathews, qui avait décidé de dénoncer le sort des gays persécutés en Tchétchénie en brandissant des pancartes pendant la montée des marches. 

Et puis il y a deux ans, ce moment suspendu et sublime. Le réalisateur John Cameron Mitchell, président du jury, me dit qu’il aimerait chanter une comptine en japonais au cinéaste Hirokazu Kore-eda, lauréat de la Queer Palm pour son film Monster au moment de la remise mais qu’il a besoin d’un guitariste. J’ai donc appelé mon fils, qui avait 19 ans à l’époque et qui joue de la guitare. Il est arrivé à Cannes. Ils ont répété tout l’après-midi. Et j’ai assisté le soir à ce moment magique où John Cameron Mitchell chante en japonais, accompagné à la guitare par mon fils avec Koreeda qui filme avec son portable en pleurant !

Des souvenirs de fête aussi ?

Bien sûr ! Grâce à Christopher Landais, qui fait un travail remarquable, on a ouvert un club, le Vertigo, un lieu éphémère qui a longtemps occupé le 7 – un petit club cannois aujourd’hui fermé – et qui est devenu aujourd’hui une entité à part entière dans un lieu beaucoup plus grand. Un endroit nécessaire, une safe place, parce qu’il n’y a pas d’endroits queers à Cannes. On a reçu plein d’artistes différents l’an dernier : Bilal Hassani en concert, le cabaret Les Moches, des supers drags et DJs tous les soirs. Et tellement de monde que j’avais compté qu’on avait refusé un soir 5 Césars et 3 Oscars dans la file d’attente !

Enfin, ta Queer Palm de toutes les Queer Palms ça serait quoi ?

Évidemment Kaboom parce que Gregg Araki est un cinéaste majeur. Mais je pense aussi à 120 battements par minute, de Robin Campillo, récompensé en 2017, car c’est une œuvre fondamentale. Et aussi la délibération la plus courte de l’histoire des jurys de la Queer Palm, puisque ça a duré en tout et pour tout trois minutes ! Je sais que Pedro Almodóvar était très content qu’il ait la Queer Palm parce qu’il aurait adoré lui donner la Palme d’or et qu’il n’avait pas réussi à l’imposer dans son jury. Et puis ça a été la fête la plus dingue, je crois. Je me souviens que Memento, le distributeur, m’avait appelé pour me dire : « on arrive au Vertigo, on est 60 ». Alors que le club ne pouvait accueillir que 100 personnes à l’époque ! 

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Christophe Honoré, président du jury 2025 : 

« La Queer Palm est à la fois un refuge et une tribune, un combat et une tendresse »

Le cinéaste, auteur et dramaturge Christophe Honoré sera le président du jury des 15 ans de la Queer Palm. « Quinze ans, c’est l’âge où l’on espère tout, où l’on craint tout, où l’on est prêt à se battre contre tout », a déclaré le réalisateur ouvertement gay à qui l’on doit Les Chansons d’amour et Plaire, aimer et courir vite entre autres. Et d’ajouter : « alors que la création contemporaine est de nouveau attaquée par l’Internationale réactionnaire, il semble d’autant plus urgent de mettre en lumière et de fêter les films queers. Être cinéaste, appartenir à une minorité sexuelle et soutenir la vérité de ses désirs dans ses films est une sincérité imprudente qui toujours fragilise. D’où l’importance de la Queer Palm au cœur du Festival de Cannes, elle est à la fois un refuge et une tribune, un combat et une tendresse ».

Le Festival de Cannes aura lieu du 13 au 24 mai. Plus d’infos sur la Queer Palm sur queerpalm.org

Crédits photos Franck Finance Madureira, Marie_Rouge

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