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LaVallée : la diversité à Molenbeek

Franck Desbordes

Bruxelles est une destination privilégiée pour faire la fête et pour la culture queer. A Molenbeek, un quartier de la capitale à la mauvaise réputation, un centre de création et lieu de vie hors-pair, change la donne : LaVallée. Pourtant ce tiers lieu festif créé dans une ancienne bâtisse industrielle est menacé de fermeture. A l’occasion de la Belgian Pride 2025 qui y organise des évènements dont l’expo de Marc Martin « Mauvaises Vies ? », nous avons rencontré Pierre Pévée le maître des lieux.

Strobo : Pierre, depuis une dizaine d’années à Bruxelles, on parle de toi comme « l’incubateur » d’artistes bruxellois en tous genres... Raconte-nous ton parcours.

Pierre Pevée : Je viens de Liège, ou j’ai fait des études de droits et Sciences Politiques. A la fin de ces études, j’ai commencé à faire la fête à Bruxelles et cela m’a amené à déménager en 2000 dans notre capitale. J’ai toujours été passionné de musique électronique et cette passion m’a amené à fréquenter les clubs et soirées de Bruxelles et de Belgique. Cette vie nocturne m’a permis de faire une multitude de rencontres et surtout je me suis rendu compte de la diversité qui se trouvait dans ce milieu de la nuit. Très vite, l’envie d’être acteur plus que spectateur a grandi en moi. Dès 2001, j’ai commencé à organiser des soirées à Bruxelles. En 2003, avec Pierre Noisiez (DJ Pierre résident mythique du Fuse) on a lancé un concept qui s’appelait P3P, ces soirées qui ont durées plus ou moins 5 ans, ont eu un succès retentissant. La suite logique était de devenir DJ, ce n’était pas mon activité principale mais j’avais pas mal de résidences à Bruxelles, Paris et Lausanne. En 2010 j’ai également lancé un concept de soirée qui s’appelait Leftorium (avec Geoffroy Mugwump qui a notamment signé sur des labels tels que Cocoon, Kompakt et R&S) jusqu’en 2021. Toutes ces acticités on fait grandir mon réseau dans la sphère artistique et a fait naitre en moi une envie d’aller plus loin et de créer un lieu dédié aux artistes et créateurs. De là est né un premier projet, la BAF (Brussels Art Factory) qui offre des ateliers accessibles aux artistes. C’est en 2014 que la coopérative Smart me confie la mission de créer LaVallée. Un lieu de 6000m² situé à Molenbeek.

Être le manager d›un tiers-lieux culturel à la programmation aussi variée que celui de LaVallée, cela consiste en quoi ? 

A LaVallée, nous produisons et accueillons entre 150 et 200 événements par an. J’aime bien définir Lavallée comme un lieu de vie, un lieu où on travaille, on y fait des rencontres, on se cultive et on s’amuse. Dans les espaces de travail nous hébergeons plus de 130 projets, ce qui représente plus de 200 personnes qui y travaillent quotidiennement. Le but étant d’offrir sur le long terme des espaces adaptés aux différents type d’activités à des prix accessibles. C’est un peu comme une fourmilière créative dans laquelle on peut retrouver des plasticiens, graphiste, vidéastes, stylistes, créateur floral, architectes, studio de podcast. Une multitude d’activité permettant une émulation favorisant les échanges et la création de nouveaux projets.

Et du coté événementiel ?

80% de la programmation est artistique : Concerts, expositions, performances, soirées… Nous nous considérons comme un facilitateur de talents émergents. Bien que nous recevons des artistes confirmés comme c’est le cas avec l’exposition de Marc Martin, la majorité de notre programmation est basée sur l’émergence. Nous aimons accueillir des artistes avec des étoiles dans les yeux et leurs permettre un accès à des outils professionnels, de la visibilité et une rencontre avec le public. Etant situé à Molenbeek, il est important pour nous d’être un lieu d’accueil pour nos voisins. Nous travaillons avec des structures voisines auxquelles nous mettons à disposition nos espaces afin de développer des événements pour le public local. Nous accueillons également des événements plus conventionnels tels que des réseaux européens ou conférences sur des thématiques qui nous sont chères.

Alors que l’art et la culture peuvent sont des moteurs de vie (même s’ils sont trop peu reconnus comme tels), ton lieu a été menacé de fermeture...

La coopérative Smart (structure qui porte le projet) a décidé d’arrêter LaVallée en cette fin d’année. Avec l’équipe en place (Marie Delacroix, Pierre Lahoche et Hicham Mnimen Berrada) nous pensons que le projet doit ne doit pas mourir. Cette fermeture aurait des conséquences directes et fortes sur l’ensemble du secteur créatif et artistique bruxellois. En effet outre les 200 personnes travaillant quotidiennement à LaVallée, c’est plus de 400 artistes qui exposent, performent et ont une occasion de faire découvrir leur travail dans le lieu. Nous avons donc entamé un travail sur la continuité du projet. Le lieu ne fermera pas en 2025, mais les challenges sur le moyen et long terme restent grands. Outre l’amélioration du modèle économique, nous sommes à la recherche de partenaires publics et privés. Il est certain que la situation économique et politique à Bruxelles n’est pas la plus favorable pour le moment. Nous espérons avoir un gouvernement dans les prochaines semaines afin de pouvoir présenter notre projet aux nouveaux élus.

Parmi tes combats, au sein d’un quartier cosmopolite, tu prônes le vivre ensemble et tu t’affiches allié de la cause LGBTQI+ depuis la création du lieu. Aujourd’hui, avec l’exposition de l’artiste Marc Martin, LaVallée ouvre le bal de la semaine des fiertés bruxelloise. Quel est ton message envers notre communauté ?

Nous ne mettons jamais de barrières quant à l’appartenance à une communauté, un courant tant que les valeurs que l’on prône à LaVallée sont respectées. Le quartier à Molenbeek dans lequel nous nous trouvons est composé en grande partie de personnes issues de l’immigration et avec un faible pouvoir d’achat. C’est un quartier familial. Le visage de Molenbeek a changé ses dix dernières années. On a vu beaucoup de projets artistiques y prendre leurs quartiers. Mais nous étions parmi les premiers projets à nous y établir.

Comment s’est passé la cohabitation ?

Nos voisins nous ont peut-être un peu considéré comme des ovnis, mais pour la plupart avec amusement. Dès le début, nous avons programmé des événements LGBTQI+. Bien qu’une infime partie du quartier ait tenté d’influencer nos choix et ont manifesté leurs mécontentements, nous avons continué à programmer des artistes, collectifs se revendiquant de la communauté LGBTQI+. Tout le monde est le bienvenu. Et la chose dont nous sommes le plus fier, c’est nous n’avons quasi jamais eu de problèmes ou conflits dans le lieu. Quant à l’ouverture de la semaine de la fierté, c’est hyper bien pour nous d’être un des événements marquant de cette semaine. C’est comme une reconnaissance pour nous.

On parle beaucoup de Bruxelles comme Capitale culturelle de l’Europe 2030, comme destination idéale pour la fête et la nuit. Comment la Vallée se projette-elle ?

Nous pensons que LaVallée avec son coté « multifacettes » jouera un rôle clef et sera un lieu de rencontres des différentes cultures si Molenbeek l’emporte.

Comment présenterais-tu LaVallée aux Français qui ne connaissent pas l’ambiance du lieu ni la magie des soirées inclassables qui font sa réputation ?

Plus que de présenter, j’inviterais tout le monde à venir nous visiter. Je pense que l’expérience sera plus représentative que mes mots. Je vous invite donc à checker notre programme que notre site (www.lavallee.brussels) ou sur nos réseaux sociaux. 

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