Antoine Idier publie un livre intitulé « Réprimer et réparer, une histoire effacée de l’homosexualité ». Alors que la proposition de loi visant à reconnaître et indemniser les victimes de l’homophobie judiciaire poursuit son chemin, l’historien livre une recherche et une réflexion passionnantes sur la réalité de la répression homophobe en France.
Le 6 mai, le Sénat examinera en seconde lecture le texte sur la reconnaissance et la réparation des personnes condamnées pour homosexualité en France, porté par le sénateur socialiste Hussein Bourgi.
Les discussions seront peut-être nourries par le travail de l’historien Antoine Idier (photo ci-dessus), qui s’est penché sur la réalité de la répression des homosexuels au cours des siècles derniers et en a tiré un livre, Réprimer et réparer, une histoire effacée de l’homosexualité, sorti début avril. Consulté au moment de la rédaction de la loi, le chercheur n’avait pas caché son scepticisme, face aux contours trop restrictifs d’une loi qu’il juge par ailleurs « fondamentale politiquement ». Pour donner du poids à son propos, il s’est donc penché dans les archives de la police et de la justice française.
Si elle est votée, la proposition de loi du Sénateur Bourgi permettra de reconnaître la responsabilité de la France dans la condamnation des homosexuels (essentiellement des hommes) entre 1941 et 1982, via la loi du 6 août 1942 qui crée un âge de consentement sexuel différent pour les personnes de même sexe (21 ans, contre 13 ans pour les rapports hétérosexuels) et l'ordonnance du 25 novembre 1960 qui double la peine pour outrage public à la pudeur quand deux personnes de même sexe sont concernées. Nul besoin d’être grand clerc pour savoir que la répression a existé avant et après, sous d’autres formes et qu’avant 1942 et après 1982 les gays et les lesbiennes n’ont pas vécu dans un paradis de bienveillance. Les travaux d’Antoine Idier viennent le confirmer de manière indiscutable et étayée, archives à l’appui.
Pour commencer, l’historien démonte le mythe tenace de la « dépénalisation de l’homosexualité » par Cambacérès, lors de l’écriture du code pénal, sous Napoléon Ier. Certes, la sodomie est sortie du code pénal, mais la répression a continué.
Antoine Idier, que nous avons rencontré, précise : « il y a depuis longtemps, une répression pénale par des condamnations en justice, quand bien même le code pénal ne prévoyait pas de répression directe de l'homosexualité. Dès le début du XIXème siècle, ne serait-ce que si on remonte au moment où apparaît le code pénal moderne, la justice condamne pour homosexualité, via l'outrage public à la pudeur, via l'excitation de mineurs à la débauche, même si les mots « homosexualité » ou « contre-nature » ne sont jamais inscrits dans le code pénal. »
Une répression avant tout policière
Autre point majeur démontré dans le livre : la répression des homosexuels est loin d’être l’apanage de la Justice. Avant d’être une répression de l’institution judiciaire, la répression de l’homosexualité est surtout le fait de la police.
Antoine Idier : « il y a eu toute une répression brutale, et bien plus importante, qui n'a jamais donné lieu à de condamnations judiciaires. La partie condamnation par la justice, c'est un peu la partie émergée de l'iceberg. La police a toujours mené un travail de harcèlement des homosexuels, de leur mode de vie, des lieux, en considérant d'ailleurs que la loi était insuffisante, et qu'il était du devoir de la police de combler les lacunes de la loi. Et de chercher des modalités pour contenir, pour endiguer la propagation, la visibilité de l'homosexualité. »
Dans son livre, l’auteur consacre une partie à la répression homophobe particulièrement intense à Toulon, premier port militaire français, où les autorités s’inquiètent dans les années 1920 du « racolage » de matelots « pédérastes » qui ferait de la ville un « centre d’attraction ». Ce qui n’est sans doute pas tout à fait faux, d’ailleurs. Dans son livre Le glorieux et le maudit, l’écrivain Olivier Charneux raconte notamment les fréquents séjours de Jean Cocteau, esmoustillé par les marins en goguette, dans cette ville du sud est.
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Pour illustrer les dégâts de la répression policière, Antoine Idier livre aussi cet exemple saisissant : « en 2010, quand je menais des recherches sur la ville de Lyon, Jean-René m’avait raconté l’histoire de Grégoire, un clerc de notaire, arrêté dans les années 1970. Comme ce dernier déclarait illégale son arrestation, les policiers avaient « pris ses papiers de force : « on va appeler tes parents, on va appeler ton patron ». Le lendemain, il s’est pendu dans son garage, en laissant un mot d’excuses à ses parents ». » Et le chercheur de conclure : « une politique de réparation peut-elle laisser de côté Grégoire? »
Aux Etats-Unis et Canada, la police a présenté des excuses à la communauté LGBT. Une piste à étudier, pour l’historien : « la question des excuses ou la question que la reconnaissance symbolique du rôle de la police est quelque chose d'extrêmement important. N'importe quel homosexuel qui a connu les années 1950, 1960, 1970 témoigne aujourd'hui d'une omniprésence policière, d’une politique d'humiliation. Et évidemment cette question doit être posée, d’autant plus qu'elle fait écho à des pratiques contemporaines, à savoir l'autonomie de la police, les violences dont la police est capable, qui n’ont pas disparu. Et évidemment, il faut en faire l'histoire, il faut poser cette question. »
L’armée a également longtemps discriminé et persécuté les homosexuels en son sein. Cette histoire-là, qu’Antoine Idier effleure dans son livre, reste encore à explorer.
Dépasser le cadre de la réparation financière aux victimes
La proposition de loi prévoit une réparation financière pour les victimes de la loi. Du moins pour celles qui restent, car beaucoup sont morts et parmi les survivants, peu se sont manifestés pour le moment. Pour Antoine Idier, la réparation doit aussi dépasser ce cadre. Il cite en exemple les réflexions sur la réparation de l’esclavage : « les militants, les chercheurs, les intellectuels, et les gens qui travaillent sur la question de l'esclavage insistent sur le fait que pour une domination structurelle telle que celle-ci, sa réparation s'adresse aussi aux descendants, au sens qui héritent de ce qu'il reste de la structure de domination. L'esclavage c'est le racisme, l'esclavage a disparu bien évidemment mais le racisme que l'esclavage a contribué à structurer et qui a structuré en retour l'esclavage est toujours présent. La réparation s'adresse aussi à tous les descendants d'esclaves aujourd'hui qui vivent dans des sociétés racistes. Et il me semble que cette réflexion peut être transposée sur la question de l'homosexualité et que la réparation nous concerne toutes et tous, dans certaines mesures. »
Ces questions, les autres pays qui ont voté des lois de réparation de répression de l’homosexualité y ont été confrontés également, ajoute Antoine Idier : « au Royaume-Uni, il a fallu pas moins de quatre lois pour réussir à obtenir une politique de réparation satisfaisante. En Allemagne, il a dû y avoir des amendements pour correspondre à ce qu'a été la réalité de la répression dans elle pays. Et ce qui est frappant pour la France, c'est qu'au fond, personne n'a vraiment eu le souci d'aller regarder ce qui se passait à l'étranger non plus. C'était aussi un des objectifs du livre. » L’historien sera-t-il entendu ? Réponse à l’issue des travaux parlementaires.
Réprimer et réparer, Une histoire effacée de l’homosexualité, Antoine Idier, Textuel, 19,90 €