Ewen Blain : Quand l’amour, l’amitié et un renard s’invitent dans le cœur d’un garcon

Alexis Massoutier

Avec le Masque du renard (chez Glénat), Ewen Blain nous raconte une histoire simple, et touchante, celle d’un garcon un peu paumé qui commence à ressentir des trucs nouveaux pour un camarade. Entre moments de doute, premières émotions, amitiés qui se cherchent et un drôle de renard qui rôde, cette BD parle d’amour gay avec douceur, sans clichés, et avec humanité.

Strobo Mag a eu envie de poser quelques questions à Ewen Blain, pour comprendre d’où vient cette histoire, ce qu’il a voulu dire à travers ses personnages, et comment on raconte l’éveil des sentiments sans en faire des caisses.

 

Bonjour Ewen, Qu’est-ce qui a déclenché la creation de le Masque du renard ? Était-ce un souvenir personnel ou une envie de parler d’amour ? 

C’était plutôt une envie, une volonté de parler de l’amour, sans que ce soit directement lié à mon vécu. L’adolescence me semble être un moment clé, car c’est la première fois qu’on commence vraiment à prendre en compte l’autre, à tisser des relations sociales. C’est aussi l’arrivée des premiers amours, avec tout ce que ça implique de maladresses, de doutes, de tâtonnements. On essaie de comprendre comment tout ça fonctionne. C’est un moment d’apprentissage très fort à cet âge-là.   

Vos planches respirent la nature, comment avez-vous travaillé cette ambiance visuelle paisible et pourquoi avoir choisi la campagne comme cadre pour aborder des thèmes comme l’identité, le désir et les premières amours ?

Ça s’est fait assez naturellement. J’ai pensé le décor comme un personnage à part entière. La nature me semblait évidente et importante pour aborder ce type de sujets. À travers un récit “feel good”, qui enveloppe et réconforte, la nature s’imposait d’elle-même. Même si je suis parisien, c’est un élément qui compte beaucoup dans ma vie personnelle. J’adore la randonnée, et le rythme de la campagne est très différent, plus propice à ce type de récit.  

 

Le lien entre Romain et Côme est très subtil, tout en regards, gestes, silences. Comment avez-vous pensé à retranscrire cela via vos illustrations et votre recit ? Est-ce que ca a été facile ? 

Ça n’a pas été difficile. Je suis quelqu’un d’assez taiseux, pas très bavard, donc ça s’est fait là aussi de manière assez naturelle. Ce que j’aime dans la bande dessinée, c’est justement la puissance des silences, des vides qu’on peut laisser. Il y a des choses qui passent autrement, par le dessin, et c’est une autre manière de partager des émotions. C’est parfois difficile d’être subtil, mais j’ai trouvé des astuces pour faire passer certaines scènes. Il n’y a pas toujours de dialogues, mais il y a quand même un échange et ensuite, les lecteurs peuvent s’approprier tout ça à leur manière.  

L’amitié a une grande place dans l’histoire, avec ses disputes et parfois ses réconciliations. Aviez-vous envie de montrer que les relations amicales peuvent être aussi complexes que les relations amoureuses ?

Je vais revenir à ce que je disais au début : à l’adolescence, on commence à apprendre les relations sociales, qu’elles soient amoureuses ou amicales. Il y a souvent cette difficulté à comprendre l’autre, et c’est justement ce qu’on apprend à cet âge-là. Je ne parle pas de sexualité dans mon récit, mis à part quelques baisers, ça reste très discret. Ce sont des questions qu’on se pose tout au long de la vie, même à l’âge adulte, mais c’est particulièrement difficile à démêler quand on est ado. Enfant, on est un peu dans une bulle, on se sent les rois du monde. Et puis, à l’adolescence, on prend conscience qu’il y a d’autres gens autour de nous, avec leur propre existence. Alors on a envie d’interagir avec eux, parfois avec du désir. Et forcément, il y a des maladresses, en amour, comme en amitié.  

Vous abordez l’amour gay sans l’expliquer. Est-ce que c’était important pour vous de montrer une histoire d’amour entre homme avec cette retenue et cette douceur ? Voire l’aborder comme quelque chose de normal ? 

On est en 2025, donc oui, ça me semble normal. Expliquer ça aujourd’hui me paraît presque anecdotique, parce qu’en France, la plupart des jeunes grandissent déjà avec des représentations de l’homosexualité beaucoup plus variées. À mon époque, les seules images que j’avais, c’était la Cage aux folles ou Pédale douce. Il n’y a aucun jugement là-dessus, mais le spectre était assez limité. Pour certains de mes proches, c’était même un frein pour faire leur coming out, parce qu’ils ne se reconnaissaient pas dans ces modèles-là. En 2025, le panel est beaucoup plus large, même si je ne suis pas naïf : l’homophobie existe encore. Il n’y a pas un seul modèle d’homosexuel, chacun est différent et moi, je propose une version parmi d’autres à travers le Masque du renard.  

Il y a cette phrase marquante : « quand t’es gay, tu dois l’annoncer à tout le monde. T’as peur d’être rejeté par ce que tu aimes, pour un truc que tu choisis pas, il fait partie de toi. T’aimes juste les mecs, point. » D’où vient-elle ? Est-ce un écho personnel, ou un constat plus large ?

D’où elle vient ? De mon esprit. Ça me semble tellement basique de le dire, et pourtant, on doit constamment le rappeler. C’est dommage, mais je pense qu’il faut continuer à marteler ce message. Ce qui m’a particulièrement marqué pendant la manif pour tous, c’est un ami, qui n’est pas homophobe et qui est ouvert sur ces questions, mais qui ne comprenait pas pourquoi j’étais heurté par la manif. J’invite ce genre de personne à lire mon récit, pour amorcer un début de réflexion : « Ah tiens, ces gens-là ont des sentiments ». Quand on est hétéro, on ne se pose pas vraiment de questions, tout est tracé. Mais quand on est homo, c’est différent, rien que le passage par le coming out. Je ne voulais pas être trop démonstratif dans mon récit. Je trouvais intéressant que cette phrase vienne de l’ami du personnage, pour faire une sorte de pas de côté, lié au frère de celui-ci. 

Et pour le père de Romain, il se doute que son fils est gay, mais il le laisse venir vers lui tranquillement, sans mettre de pression. C’est un accompagnement subtil dans un cheminement qui n’est pas évident. Mais pour moi, il est important de laisser aux lecteurs l’interprétation personnelle, qu’ils s’approprient les personnages et que je sois un peu comme un guide. Pour moi, une histoire devient intéressante quand on laisse une marge de manœuvre aux lecteurs pour interpréter ce qui se passe. J’aime beaucoup les récits ouverts.  

Le renard semble être une figure symbolique, une sorte de fil rouge du récit. Que représente-t-il pour vous ? Avez-vous été inspiré par des légendes japonaises ?

Dans le récit, j’explique avec Côme qui porte le masque du renard, mais il y a aussi tout un imaginaire autour de ce personnage dans la culture japonaise. J’ai simplifié cet aspect, mais si on cherche “INARI” sur internet, on trouve de nombreuses informations à son sujet. Il a la capacité de se métamorphoser et de jouer des tours à des jeunes hommes un peu naïfs. C’est un raccourci rapide, mais c’est une culture que j’apprécie énormément. Je parle un peu japonais et j’ai grandi avec les animés et le Club Dorothée, ce qui a nourri mon imaginaire. Je me situe à mi-chemin entre la BD franco-belge et le manga, un mélange des deux. Il existe un terme au Japon, Iyashikei, qui désigne un genre de manga "guérison", destiné à apaiser, à offrir du réconfort et du bien-être. Peut-être que mon manga peut, à sa manière, apporter un peu de cela. En tout cas, c’est un récit que j’aurais aimé lire quand j’étais ado, et qui peut aussi résonner auprès des parents.  

Comment s’est passée la collaboration avec Glénat sur ce projet, qui est assez singulier dans le paysage allant des BD franco-belge au manga ?

Il existe déjà des BD qui traitent de l’homosexualité chez Glénat, comme Bichon ou Le bleu est une couleur chaude, par exemple. C’est peut-être une œuvre singulière dans son traitement, mais dans le récit, j’ai peut-être un côté plus japonais que franco-belge, je ne sais pas… Je pense être influencé par ces deux univers à la fois.  

Qu’aimeriez-vous que les lectrices et lecteurs retiennent en fermant le Masque du renard ?

Ce que j’aimerais, c’est qu’ils soient contents, et si ça peut leur apporter un peu de bonheur, comme on le disait par rapport au Iyashikei, c’est chouette.  


Le Masque du renard de Ewen Blain chez Glénat (19,50€)

Copyright : BLAIN Ewen (c) Guillaume Lecaplain

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