Qui ne s’est jamais senti frustré ou triste après un plan cul ? Certes, techniquement, rien à dire, mais émotionnellement, encéphalogramme plat. Pour valoriser la douceur du câlin et l’art de l’écoute, l’aftercare (ou soin de l’après) a émergé dans la communauté BDSM. Cette « pratique » commence à trouver sa place avant, pendant, et surtout après les échanges sexuels et amoureux. Voici quelques témoignages qui en démontrent l’irrésistible attrait.
Maxime, 30 ans, était un habitué des applis : « je me vantais, je sélectionnais, je consommais. Comme si je m’offrais une glace. Hélas, malgré le plaisir physique, souvent court, je ne ressentais pas très longtemps cette vague de plaisir intense et longue qui détend le corps. » En sexologie, on parle de « dysphorie post-coïtale », cette sensation de tristesse ou de vide qui peut survenir après un rapport sexuel. Soucieux de découvrir d’autres horizons, il décide de faire sa première visite dans un sex-club et se retrouve, assis sur le banc d’une cabine, avec un garçon qui l’enlace, prend le temps de discuter et lui propose de prendre un verre tranquillement : « j’étais tellement habitué au mec qui repart de chez moi sans se laver les mains que j’ai été surpris. Ce gars n’était pas mon style, mais il trouvait naturel de prendre du temps, de discuter. Je crois que le moment passé ensemble était plus réussi que le sexe en lui-même. Je n’ai pas eu l’impression d’être le huitième de la semaine ou de la soirée, je me suis senti… considéré. » Le partenaire du jour de Maxime, qu’il a revu, lui a prodigué, après le sexe, une micro-session d’aftercare. Maxime ne connaît pas le mot, et quand on le lui mentionne, il nous corrige : cela fait clairement partie de l’échange sexuel, c’est la continuité directe, ça le rend meilleur.
Une origine BDSM
L’aftercare s’est développé dans la communauté BDSM. On parle bien de pratiques dites « hards », et non de fétichisme vestimentaire. Parce qu’elles sont souvent plus éprouvantes pour le corps, parce qu’elles engagent émotionnellement à travers des jeux de rôles et parfois des jeux d’impact, ces pratiques génèrent ce qu’on appelle le drop, une baisse soudaine d’endorphines, qui peut rendre triste ou irritable. C’est cette communauté, parfois regardée de haut, qui a valorisé très tôt les échanges liés au consentement clair, explicite, éclairé entre partenaires. Car le SM demande, impose, un bon niveau d’échange. Avec l’avènement d’un site communautaire thématique d’échanges comme Fetlife, inclusif et non payant, on observe depuis quelques mois le mot « aftercare » listé dans la catégorie des pratiques.
Yves, gay dans la vie, qui aime autant le cuir que les dessous en dentelle, a apprécié cette découverte : « il n’y a bien sûr pas obligation de câlins, mais celui qui mentionne l’aftercare parmi ses pratiques a pris en compte, déjà, l’affection, les petits mots doux, ou même la main posée sur l’épaule dans le silence après un échange intense. On sait juste qu’il a réfléchi pour dépasser les catégories habituelles. » Notre témoin précise qu’il ne s’agit pas d’une comédie romantique, mais plutôt de gestes d’attention simples : aller chercher un verre d’eau, ou une serviette, ou dans son cas, de la crème à l’arnica après une fessée aussi délicieuse que cuisante. Des détails qui ré-enchantent la sexualité et qui commencent à trouver leur place dans les relations « vanille ». En reprenant un terme de sexologie, on pourrait parler de pratique bienveillante post-relation, bénéfique pour les deux partenaires — voire trois ou quatre, si le cœur vous en dit. « Maintenant, je dis que je cherche une relation, pas un plan déconnecté, et je suis étonné du nombre de réponses que je reçois. »
La douce sensation de décompression
Jérôme, 37 ans, dit avoir apprécié pas mal de « plans décharge » : « des trucs rapides, satisfaisants, faciles à glisser dans mon emploi du temps. Sous le shoot d’hormones, on se promet de se revoir, mais ça ne se fait pas ou rarement. Je voulais explorer un peu plus, un peu mieux. J’ai commencé par indiquer que je cherchais des plans longs et je ne liste plus mes pratiques. Parce que chacun essaie de coller à ce qu’il croit être recherché par l’autre. » A-t-il dit qu’il cherchait un plan au feeling, cette notion un peu floue qui ne résume pas grand-chose ? « Non, j’ai insisté sur le temps disponible, j’ai indiqué que j’étais attentif à mes partenaires et zappé tout le vocabulaire “utilitaire” et faussement trash, comme vide-couilles. » Le reste est venu. Concrètement, ça se traduit comment ? « C’est plus affectueux, plus caressant. On partage ses ressentis sans pression, dans une ambiance détendue. On peut se faire un mini-massage, choisir une playlist enveloppante et vérifier ce que l’on peut améliorer en termes de prévention. Ça doit être doux et calme. »
En riant, Jérôme dit qu’il ne veut plus être un organe ou un numéro, et qu’il se sent valorisé par ce soin, y compris quand il ne revoit pas son partenaire. Car l’aftercare renforce l’estime de soi des personnes LGBTQIA+, souvent mise à mal par le stress minoritaire, le cumul des préjugés et des expériences subies qui affectent la santé mentale. C’est un atout pour bénéficier d’une meilleure sécurité émotionnelle, un moment pour reconnaître consciemment au partenaire la place qu’il mérite, et surtout lui donner une place.
La sexologie inclusive reconnaît l’importance de ce doux moment qui nous rappelle que la sexualité entre hommes, lors d’une rencontre fugace ou d’une relation au long cours, ne sert pas qu’à nous délivrer une dose d’ocytocine — l’hormone de l’attachement. Elle nous relie à cet art de l’exploration de soi et de l’autre, et tant mieux si le sujet émerge en France. Les sexologues Gwen Ecalle et Morgane Beauvais, dans l’excellent Sexo Queer : Le guide pour embrasser sa propre voie intime, affective et sexuelle (Éditions First), y consacrent un chapitre. L’ouvrage fourmille de pistes pour réinventer l’intimité sans trop se soucier des normes.