Haus of Bobbi : « Bousculer les a priori »

Julien Claudé-Pénégry

Alors que Haus of Bobbi dévoile son nouvel EP intitulé « Rayon vert » en duo avec K Sensei, une collaboration entre électro, new wave et mélodies 80/90s, Strobo Mag a voulu en savoir plus sur l’artiste lui-même. A travers une interview exclusive, il se met à nu.

Qui est Haus of Bobbi et d’où vient ce nom d’artiste ? 
Haus Of Bobbi, c’est le témoin d’un parcours de vie complètement formaté par une société conformiste et qui se retrouve un jour asphyxié d’avoir toujours plus écouté les autres que lui-même. C’est un garçon qui décide alors d’explorer des chemins qu’il s’était interdit pour peut-être pouvoir enfin révéler ce qui fait sa nature la plus profonde et s’affranchir du regard des autres.
Bobbi est mon surnom depuis quelques années. J’ai enlevé le Y pour faire moins américain. Mais j’avais envie d’un nom de scène qui décline un concept plutôt qu’une carte d’identité. J’y ai apposé « Haus of » en référence au milieu drag et à la Haus Of Gaga. Et parce que j’aimais bien le petit côté Klub Kid berlinois qu’ajoute le « Haus ». Ça marque aussi l’idée d’un collectif, d’une famille, d’un univers qui rassemble.

Peux-tu nous raconter ton parcours musical et comment tu es arrivé dans le monde de la scène ?
J’ai commencé la musique très jeune au conservatoire où j’ai fait 10 ans de saxophone. J’ai passé des heures son mon premier synthé dont les sons nourrissent encore ce que je fais aujourd’hui. J’ai écrit mes premières chansons à l’adolescence, pour une fille à l’époque, puis mes rêves de musique ont été rattrapés par une certaine réalité de la vie, les attentes des parents quant à un parcours professionnel plus sécurisant ou valorisant. J’ai laissé tout ça de côté et j’y suis finalement revenu assez tard, à la suite de changements assez notables dans ma vie : un divorce, la révélation de mon homosexualité à moi-même et à mon entourage, mes premières relations avec des garçons, et aussi ce sentiment de ne pas être vu par le autres pour ce qu’il y a vraiment au fond de moi. Dans la logique des choses, je serais allé parler à un psy. Mais finalement, ça a complètement réveillé et alimenté mes envies créatives, et les premières chansons de Haus Of Bobbi, très exutoires, sont nées.
L’aspect scénique de mon projet est arrivé dans un second temps. Mes titres sont souvent très produits et très « chantés », ils appellent une ambiance, un univers visuel que portent les clips qui sont aussi une grosse partie de mon travail. J’avais au début un peu de mal à projeter tout ça en live sans grosse boîte de prod autour de moi et la dernière chose dont j’avais envie c’était de chanter full time sur du playback orchestre sans trop savoir quoi faire de moi. J’ai fait une première date en 2022, un peu par accident, et là, j’ai découvert l’impact du face à face avec le public et le sens concret que ça donnait à mon travail, ce partage de regards et d’émotions, dans une ère qui devient stérile quand tout passe par internet et les réseaux. J’ai consacré alors toute l’année précédant la sortie de mon 2ème EP à créer une proposition scénique qui me ressemble, dans laquelle je me sens légitime et qui propose au public une vue sur mes chansons, un voyage qui les emmène avec moi d’un point A à un point B.

Quelles sont les principales influences qui ont façonné ton style musical et ton univers visuel ?
Musicalement, j’ai toujours écouté plein d’esthétiques différentes, mais ce que je fais découle principalement de la variété pop française et américaine des années 80, 90. On retrouve donc dans mes prods beaucoup de sonorités synthétiques assez rétro qui pourront faire écho aux playlists de tes parents. Elles sont complètement assumées mais pour autant, j’essaie de mixer tout ça avec des beats plus contemporains qui me laissent flirter avec l’électro, la house, ou des choses plus orchestrales voire symphoniques qui font remonter mon goût pour le piano, les cuivres ou les timbales bien puissantes, avec pour modèle ultime Woodkid ou Hans Zimmer. 
Visuellement et sans contrefaçon, l’influence de Mylène Farmer et Laurent Boutonnat n’échappera à personne. J’ai baigné dans l’âge d’or du clip et ces périodes où les artistes musicaux avaient une réelle aura qui leur était propre. Je m’inscris donc tout naturellement dans cette filiation. C’est aussi une façon de faire qui a un peu disparu dans l’ère assez « fast food » actuelle où tout est produit très vite et sans toujours beaucoup de fond. Beaucoup de mon public vient vers moi aussi pour ça. 
Tout cela donne à ma musique cet estampillage « variété française » qui m’est très cher puisqu’il va puiser dans notre quotidien et nos souvenirs heureux et moins heureux.

Quels messages souhaites-tu transmettre à travers ta musique et ton image ? 
Dès le départ, j’ai voulu « libérer » une parole LGBT souvent reléguée au second plan, et la sortir de son placard. Mes histoires de garçons, elles sont somme toute assez universelles. La quête de l’amour, les relations toxiques, l’emprise… c’est le lot de tout le monde ! Du coup le vecteur qui met tout ça en contexte, c’est l’image. Mes clips sont sans compromis, un peu sulfureux ou très doux selon ce que la chanson exige et ce que j’ai à raconter visuellement. L’idée derrière tout ça, c’est de visibiliser nos histoires, d’inscrire nos spécificités, nos amours, dans un paysage audiovisuel et dans une société encore très segmentante. Voir deux garçons dans les bras l’un de l’autre, pour certains c’est encore vu comme une agression et en faisant de la musique populaire qui montre ça j’ai envie d’aider à le rendre complètement banal. Il y a toute une génération de garçons qui a vécu et vit encore sa vie de gay certes en l’assumant, mais dans une sorte de retenue, d’ombre et de masque, du fait du peu de représentativité dans la société. Moi j’ai grandi à la campagne avec pour seules références visibles de l’homosexualité le sida et le rejet. Difficile de se révéler dans ce contexte. J’ai reçu des messages de personnes m’exprimant leur gratitude de se sentir révélées au travers de ce que je rends public. Donc au-delà d’un message, j’aimerais que mon projet permette de rassembler et désenclaver ceux qui ont passé trop de temps à être pointés du doigt et à se cacher.

Parle-nous de tes collaborations passées ou à venir : avec qui aimerais-tu travailler et pourquoi ?
J’ai éprouvé énormément de plaisir à travailler avec Michal Kwiatkowski pour le titre Danser ce soir sur mon EP Je t’aime trop. Ça a été une rencontre surprise autant sur le plan artistique qu’humain. La confiance qu’il m’a donné pour les deux versions de la chanson, le clip, m’ont beaucoup aidé intérieurement à me donner confiance en la validité de mon projet. Michal a un regard ultra professionnel et bienveillant. On a énormément de références communes et c’est un peu la condition d’une collab réussie.
Celles avec K Sensei sont évidemment parmi les plus belles, certainement parce qu’on n’y chante pas d’artiste à artiste mais avec un sentiment encore plus profond qui renverse le propos par son authenticité. Je suis hyper fier des chansons que j’ai produites pour lui et toujours très heureux qu’il m’aide à réaliser mes textes, en respectant la ligne éditoriale parfois assez dirigiste que je lui donne. Son apport visuel est indéniable à l’image de la DA du clip de Rayon vert qui est pour moi une étape clé pour la suite du projet.
Le fantasme ultime, ce serait de travailler avec des personnes qui ont guidé mon parcours, mais je crois qu’aujourd’hui, je suis tout aussi satisfait de partager des moments avec des artistes de mon échelle tant que ça se fait dans un réel partage et échange créatif. Sur mon prochain EP j’ai bien prévu quelque chose dans ce sens et qui risque aussi de surprendre.

Quelles sont tes principales sources d’inspiration pour écrire tes textes et composer tes mélodies ? 
Le point d’entrée de mes compositions, c’est la mélodie. Le cahier des charges, c’est que tu dois te souvenir de la chanson et la fredonner le lendemain en deux écoutes. Mon process créatif, il est assez bordélique parce que tout m’arrive par fulgurances, à des moments souvent inappropriés. Donc j’enregistre des lignes mélodiques immédiatement sur mon téléphone et je les étoffe ensuite avec des accords sur le vieux piano désaccordé de mon salon. Je ne me pose jamais en me disant « voilà, il faut que j’écrive tel type de chanson avec tel mood et tel bpm sur ce sujet ». Je laisse les choses venir à moi et après je fais un tri. J’ai moins d’immédiateté pour écrire mes textes. J’ai tout de suite des sonorités ou des catch phrases qui s’accrochent à la mélodie et ça me guide très souvent sur un thème, mais je laisse la phase d’écriture après avoir couché les notes sur mon ordinateur.  L’amour, la relation aux autres, c’est ce qui m’inspire le plus. Par endroits aussi, certains textes m’ont permis d’exprimer tout haut ce que je n’arrivais pas à dire à l’autre. Sur mes prochains titres, je parle aussi de la régression des droits lgbt dans le monde, des frustrations liées au fait de trouver sa place dans le monde très concurrencé de la musique. Et puis comme beaucoup j’ai eu une éducation basée sur le résultat, alors la problématique de l’estime de soi n’est toujours pas résolue.

Comment décrirais-tu ton univers artistique en quelques mots ?
Au premier abord, il peut sembler sombre et torturé. Mais je le trouve finalement très contrasté et lumineux dans ses ambitions. Hypersensible aussi. J’aime bien l’idée d’une mélodrama pop un peu bipolaire où en effet tu peux monter très haut et descendre très bas. Finalement, à l’image de mon clip Personne, mon univers c’est celui d’un gars qui court avec obstination vers lui-même, avec une assurance parfois maladroite mais hyper authentique.

Quelles sont tes envies pour la suite ? Des projets ou des rêves que tu souhaites réaliser ?
De façon immédiate, je suis en train de travailler sur mon prochain EP. Ça englobe la direction artistique et tout l’environnement visuel qui va accompagner cette sortie. C’est énormément de travail, et le rêve ce serait de renforcer l’équipe autour de moi pour porter le projet plus loin et lui donner toujours plus de visibilité. Mais l’indépendance, si elle est souvent précaire, est aussi un luxe qui me laisse toute ma liberté créative.  Continuer à faire de la musique pour moi ou pour les autres, développer une direction artistique autour, pour la vidéo, la scène, et que tout cela rencontre son public ; voilà ce à quoi j’aspire !
J’aimerais aussi que le projet scénique prenne plus de place et d’envergure. Il donne à voir Haus Of Bobbi sur une dimension complémentaire, sans artifices, et il me tarde de gagner plus encore la confiance des programmateurs pour investir de belles scènes.

Dans tes clips et tes performances scéniques, tu casses les codes en jouant de plus en plus sur le genre. Pourquoi ce choix et que souhaites tu nous dire à travers ces orientations ? 
J’essaie de bousculer gentiment les a priori des gens pour leur montrer les limites de certaines conceptions. J’ai un physique cliché de bûcheron métalleux viril mais j’arrive sur scène avec une cagoule en résille strassée qui, avec les premières notes de ma voix, montre une toute autre direction et qui peut interpeller parce que ça pose un contexte dans un entre deux auquel les gens ne sont pas habitués. C’est aussi un moyen de leur faire comprendre immédiatement toute la singularité du projet et de solliciter leur attention. J’ai beaucoup de mal avec les notions de masculinité et féminité, car attacher ces mots sur des choses, c’est déjà les genrer. Avant d’être un cheval de bataille, c’est d’abord une exploration personnelle. L’idée c’est de laisser les choses prendre leur forme et de les sortir d’une certaine caricature (qui a cependant aussi toute sa légitimité à exister) pour montrer qu’il y a tout un spectre d’attributs et d’attitudes et qu’il appartient à chacun d’y trouver sa vérité et celles dans lesquelles son reflet est le plus brillant !

Enfin, comment vois-tu ton image dans quelques années ? Quelles aspirations as-tu pour ton identité artistique ?
C’est une question qui n’est pas anodine parce qu’en termes de parcours j’ai plutôt commencé sur le tard. On vit dans un monde d’apparence où tout va très vite et le milieu gay n’y déroge certainement pas. Le temps fera son œuvre, et c’est vrai que je suis beaucoup moins attaché à l’attrait que certains peuvent avoir pour mon enveloppe corporelle que pour mon travail. Même si l’image que je renvoie fait totalement partie du concept et contribue à l’intérêt qu’on lui porte, c’est ce qu’il y a à l’intérieur que je cherche à montrer. Pour la suite, il est fort probable que je multiplie les partis pris visuels comme je l’ai déjà amorcé avec ma tenue de scène, pour continuer à proposer des choses qui sortent des sentiers battus. Cultiver ce qui fait ma différence de gars un peu bord cadre, continuer à faire la musique qui me fait vibrer sans chercher à cocher toutes les cases pour être bankable… c’est certainement la façon la plus honnête de me révéler au monde et à moi-même.

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