Je pense que mon compagnon est violent, que faire ?

Luc Biecq

Depuis une vingtaine d’années, notre regard sur la violence conjugale a profondément changé. Des gestes ou des paroles autrefois considérés comme « normaux » ne le sont plus aujourd’hui — et c’est un vrai progrès. Pourtant, le tabou persiste, notamment dans les couples de même sexe, qui ne sont pas épargnés par ces violences. Les dispositifs d’aide se multiplient, mais encore faut-il avoir le courage de les solliciter. 
Voici quelques témoignages pour mieux repérer l’inacceptable… et ne plus le tolérer.

Tout a commencé, pour Cédric, par du dénigrement. Quand quelque chose se passait bien, c’était normal. Quand il ratait son code de la route ou qu’il n’avait pas de réponse après avoir postulé à un job, c’était de sa faute. « J’étais nul, pas assez tenace, je m’étais laissé distraire par mes amis, mes parents avaient raté mon éducation… » Des reproches, son conjoint est passé aux insultes, puis s’est mis à vouloir contrôler l’emploi du temps de Cédric, sous prétexte de « coaching » : « il voulait savoir avec qui j’étais quand je sortais du boulot, choisir qui je pouvais voir ou pas. Puis sont venus les reproches sur mon physique. Il me prenait des rendez-vous pour me faire épiler, ce que je ne faisais jamais avant de le rencontrer. » C’est d’autant plus troublant que son compagnon avait commencé leur histoire en le couvrant de déclarations d’amour incessantes, appuyées, déraisonnables. Un « love bombing » qui relevait plus de la manipulation que d’un coup de foudre un peu théâtral. « En consultant une psychologue, je me suis aperçu que c’était too much, pas très sain. Ses crises d’enthousiasme étaient toujours suivies de périodes de silence où il faisait la gueule. » Cédric a depuis quitté son compagnon. Un jour, il a été « bousculé », comme il l’explique : « je n’avais aucune envie de faire l’amour et je m’étais aperçu qu’il avait mis un traceur dans mon téléphone. Il m’a poussé sur le lit. Je me suis senti en danger, j’ai dû me débattre. Je suis parti chez un ami. »

Au-delà des genres et des sexualités

Autant le dire sans hésiter : la violence, au sein des couples et des familles, concerne tous les genres, tous les âges, toutes les populations, toutes les cultures. Vivre en couple LGBT ou queer n’offre aucune protection automatique. Nous sommes parfois plus vulnérables, car davantage confrontés à l’isolement, au stress minoritaire (l’ensemble des agressions vécues depuis l’enfance, y compris les préjugés), aux soucis de santé ou à l’homophobie intériorisée.
Parmi les recherches, insuffisantes en nombre, notons l’étude de l’INED de 2024 : 2 % d’hommes homos ou bi disent avoir subi des violences au sein de leur couple. Une analyse américaine, qui recoupe et regroupe de multiples données, avançait en 2015 un chiffre bien plus alarmant : entre 26,9 % et 40 % de violences conjugales chez les hommes gays, et de 25 % à 40,4 % chez les lesbiennes — non pas dans leur couple actuel, mais au cours de leur vie.
Ce qui a incontestablement évolué, c’est la façon de définir la violence. On parlait, à une époque révolue, de violence « mineure » pour une gifle. Aujourd’hui, on inclut les violences psychologiques dans la maltraitance au sein du couple, comme l’a précisé le Conseil de l’Europe dans une définition qui va au-delà du genre et inclut les personnes LGBTQIA+ : « la violence fondée sur le genre peut être de nature sexuelle, physique, verbale, psychologique (émotionnelle) ou socioéconomique, et prendre de nombreuses formes, depuis la violence verbale et le discours de haine sur internet jusqu’au viol ou au meurtre. Elle peut être perpétrée par n’importe qui : un conjoint / un.e partenaire actuel.le ou ancien.ne, un membre de la famille, un.e collègue de travail, des camarades de classe, des ami.e.s, une personne inconnue ou encore des personnes qui agissent au nom d’institutions culturelles, religieuses, étatiques ou intraétatiques. » Les personnes trans, selon l’enquête Virage de 2015, sont plus de 61% à rapporter des violences intrafamiliales subies, une raison de plus redoubler d’attention, et s’engager à leurs côtés.

Une arrivée brutale ou progressive

Stéphanie, qui approche de la quarantaine, l’explique… en riant : « j’avais tellement idéalisé le genre féminin que je ne croyais pas que mon amoureuse irait si loin. Même si j’avais croisé des femmes harcelantes dans mon milieu professionnel, je ne pensais pas subir autant de choses au nom d’une soi-disant jalousie extrême. J’étais super naïve. » Dans le couple formé par Stéphanie et son ex-femme, le mal-être s’est installé au bout de 4 ou 5 ans. Le couple, sexuellement fidèle et heureux de l’être, n’avait jamais envisagé de changer de mode de fonctionnement. L’ex-épouse, « mignonnement jalouse » selon Stéphanie, « a vrillé en douce » quand Stéphanie a rejoint une équipe de foot. Elle a commencé par venir la chercher aux entraînements, puis par assister aux matchs et à sexualiser le moindre geste de camaraderie sportive. « Elle avait dû regarder trop de pornos », plaisante Stéphanie, aujourd’hui remise et bien dans sa vie. L’ex-épouse, qui a accepté le divorce avec facilité, ne pouvait pas imaginer que les vestiaires ne servent qu’à prendre des douches. Le déclencheur, l’agression de trop ? Stéphanie a été enfermée, au sens propre, dans une pièce, pour l’empêcher d’aller à la fête du club. En tombant, deux mois après la séparation et lors d’un rendez-vous chez le gynécologue, sur le Violentomètre (voir visuel), Stéphanie a revu pas mal de situations qui auraient pu l’inciter à la vigilance — notamment l’épluchage de ses comptes bancaires, comme pour chercher la preuve d’une infidélité inexistante. Pour identifier cette violence, citons quelques exemples : le dénigrement permanent (et non la dispute occasionnelle), la privation d’autonomie, la disqualification de votre souffrance, la présence qui ressemble à du contrôle, ou encore toutes les formes de cyberharcèlement, comme la diffusion d’images intimes sans votre accord explicite.

Sortir du silence
Pour la personne qui subit maltraitance ou violence au sein du couple, la première chose à faire, c’est d’être en état, en capacité de le reconnaître et de se reconnaître comme victime. Le mot ne réduit pas à ce statut, il ne fait pas de la personne qui parle un être moins capable ou faible. Bien au contraire : parler demande de la force et mérite de l’admiration. 
Comment se repérer ? Le plus souvent, on observe un cycle qui se reproduit : une crise (la tension), suivie d’une agression (physique ou verbale), d’une justification (comme le fait d’avoir soi-même subi des violences dans l’enfance — ce qui doit amener à consulter, pas à agresser) et d’une réconciliation en mode « lune de miel », avec câlins, excuses et promesses. Comment s’en sortir ? En parlant à un proche qui pourra vous soutenir, en consultant un·e psychologue, un·e sexologue, une assistante sociale, un·e médecin, une sage-femme. 
En appelant une association (le 39 19, ou SOS Homophobie au 01 48 06 42 41), ou le 114 si vous êtes malentendant·e. 
Ces faits sont évidemment punissables par la loi. Sortir du silence, le faire à son rythme, est la première étape.

Sources :
www.ined.fr/fr/
www.coe.int/fr/web/gender-matters/what-is-gender-based-violence
https://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2021/6-7/pdf/2021_6-7_5.pdf

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