Vous l’avez peut-être vu dans des vidéos pour adultes. Après avoir grandi dans une Russie où il est compliqué de bien vivre son homosexualité, Alex Brand est venu s’installer en France, à la faveur d’une rencontre. Portrait.
De la mer noire à la Méditerranée. C’est le parcours pas forcément banal d’Alex Brand, qui a grandi dans le sud de la Russie. Vers 13 ans, l’adolescent comprend qu’il est attiré par les hommes. « J’ai toujours aimé le corps des mecs, nous raconte-il devant un verre dans le centre de Paris. Ça a toujours attiré mon œil, je trouvais ça excitant. J'ai commencé à pratiquer avec des hommes à partir de 15 ans. » D’abord bisexuel, il découvre le monde gay à 18 ans et se consacre ensuite exclusivement aux hommes. Même s’il est interdit en Russie de faire la moindre « promotion » (ou « propagande » pour reprendre la terminologie poutinienne) de l’homosexualité et si le mouvement LGBT a été déclaré « extrêmiste », il y a toujours une vie gay en Russie, explique-t-il, malgré les persécutions d’Etat, mais clandestine : « les boîtes de nuit, le cruising, les saunas, ça existe toujours en Russie. Mais c'est un peu compliqué. Tout est caché. »
Lorsqu’on l’interroge sur l’attitude de famille vis à vis de son homosexualité, il répond que « [sa] sœur a toujours été courant » : « les frères et les sœurs comprennent très vite qui on est. » Cela a été plus compliqué pour ses parents : « surtout pour ma mère qui l’a découvert d’une mauvaise manière : elle l’a découvert sur mon ordinateur. Et du coup, ça a été un petit choc pour elle. Elle ne comprenait pas qu’être gay c’est quelque chose de normal. Elle considérait ça comme une maladie. »
Il travaille dans la restauration et dans plusieurs autres entreprises. Il part à Moscou trois mois pour travailler avec un couturier. Vivre son homosexualité dans la capitale russe, est un peu plus aisé, mais loin d’être idéal : « à Moscou ou dans les plus grandes métropoles, c'est beaucoup plus simple, c'est moins jugé. Mais les gens font toujours attention, ne se prennent pas la main dans la rue, ne sont pas habillés trop flashy. » Les insultes et les menaces sont régulières, et Alex n’y échappe pas : « j’ai des amis qui ont été agressés par des homophobes qui chassaient sur les réseaux de rencontre. Et moi aussi j'ai été harcelé, jusqu'à la dépression. Ils m’ont menacé de mort, moi et ma famille. »
Rencontre avec un français
Il voyage ensuite en Europe et rencontre en ligne un français, qui deviendra plus tard son mari. Alex se rend en France en 2013 pour faire connaissance avec l’homme en question. Il reste une semaine en France. Les deux se voient pendant trois ans tous les trois mois, un coup en France, un coup en Russie.
Il travaille comme traiteur. Lorsque les affaires ne marchent plus, il doit prendre une décision : « j'ai dit à mon copain, par contre il faut choisir où on finit le couple, ou je déménage ici. Du coup il m'a proposé de venir ici et on a été pacsé. C'est grâce à lui que j'ai eu mes papiers. »
« La préfecture m'a proposé de demander un statut de réfugié, ajoute-t-il. J’ai refusé parce que si j’ai besoin de retourner en Russie, je veux pouvoir le faire sans problème. »
Il reste 9 ans avec son mari dans le sud-est. Sa mère lui rend visite et change son regard sur lui et l’accepte comme il est : « Ma mère a vu que c'était une vie normale, tranquille, en amoureux. Mais elle croit toujours que je reviendrai avec des filles.»
Un jour, on lui propose de faire des films X. Mais il décline. « J'ai dit non, je suis désolé, je suis en couple, je suis heureux, je n'ai pas besoin de ça. Il m’a dit l'appelle moi. On a parlé pendant une heure à peu près. C'était une production Citébeur. Il m'a dit garde mon contact on ne sait jamais. »
Il se lance dans le porno
Un an plus tard, il redevient célibataire. Et après mûre réflexion, il se lance. « J'ai bien réfléchi sur tout ce qui pouvait se passer, comment les gens allaient réagir vis à vis de moi, de mon ancienne vie, et quel impact ça allait avoir dans le futur aussi.Il fallait bien calculer. Je l'ai contacté [le producteur de Citébeur], j'ai dit c'est bon, je suis prêt. Puis il m'a invité, j'ai eu des premiers tournages à Paris. C’était nouveau, c'était intéressant. »
D’autres productions le contactent. Il enchaîne et développe son activité. « Ça me plaisait toujours mais je voulais encore davantage de visibilité, être plus connu. J'ai rencontré des gens qui font des sex-performances en Europe et dans les autres pays. C'est comme ça que j'ai commencé la sex-performance en public, dans les boîtes de nuits, les lieux de cruising, etc. »
Il performe en France, en Espagne, en Pologne, en République Tchèque. « J'ai eu des propositions dans les autres continents, mais parfois ce n'est pas très avantageux parce que souvent on ne nous paie pas les transports », précise-t-il. Signe que son travail est apprécié : il a été nommé aux Grabby Awards, les Oscars du porno, dans 3 catégories. Mais tout n’est pas rose, le porno lui a coûté un job alimentaire, après que son patron a eu vent de ses activités.
Satisfait de sa vie actuelle
Au final, il semble plutôt satisfait de sa vie actuelle. Il détient actuellement un titre de résident de 10 ans et ne se voit pas rentrer en Russie : « j’adore ce pays, il est magnifique et très riche. Mais les gens sont plus ouverts ici. » Il aimerait au contraire que sa famille le rejoigne en France, en particulier sa mère.
Avec tout ça, il n’oublie pas celles et ceux qui en Russie, mènent toujours une vie difficile, en particulier à ses ami.es avec qui il garde contact : « ça me fait mal et ça fait vraiment de la peine pour ceux qui ne sont pas très heureux et qui sont enfermés dans leur bulle. Parce que je me rappelle combien c’est stressant, chaque moment, chaque sortie. Il faut toujours faire attention, à chaque pas, comment on se parle, comment on s’habille. »