En février 2024, lors d’une manifestation contre la tenue d’une conférence de la Manif pour Tous à Marseille, un militant LGBTQIA+ a perdu un œil après un coup de poing d’un homme qui venait de proférer des insultes homophobes et de bousculer un élu. L’agresseur était un policier en civil.
Suite à une enquête qu’il considère comme « agressive » et des « dysfonctionnements excessifs des institutions policières et judiciaires dans ce dossier », il a décidé de retirer sa plainte comme le relate le blog de Journal Dubitatif Mouais.fr sur le site de Médiapart. Cet acte de dépit intervient dans un contexte où la lenteur de l’institution judiciaire s’ajoute à une enquête qu’il considère à charge contre lui. En voici la publication :
« Marseille, le 1er Juillet 2025
Madame la Procureure,
Le 1er Février 2024, j’étais violemment frappé au visage par un policier en civil au cours d’une manifestation LGBT, après que ce même individu ait agressé un adjoint au maire de Marseille que j’ai tenté de défendre en utilisant un spray au poivre. Fracturés par ce coup de poing, les os ne retenaient plus correctement mon œil droit, qui a tenté de sortir de son orbite le lendemain, endommageant irrémédiablement le nerf optique. J’en perdais ainsi l’usage le 2 Février, à l’âge de 26 ans. Comme le montrent clairement les vidéos de la scène, ni ce danger public ni ses deux collègues n’avaient de brassard. Ils étaient venus perturber le cortège, tenant des propos qui ne nous faisaient pas douter de ce qu’ils pensaient de nous, avant de faire illégalement usage de la force.
On aurait pu s’attendre à ce que ce voyou soit inquiété, mais non. Suite à ces événements, le policier a porté plainte et ses collègues ont voulu me placer en garde à vue, ce que mon état de santé et les contraintes médicales qu’il impliquait ont rendu impossible. J’ai bien entendu déposé plainte, mais l’enquête a été confiée une IGPN qui a investigué contre moi, cherchant tantôt à prouver que ce ne serait pas le coup de poing qui m’aurait rendu infirme, tantôt à démontrer que je l’aurais mérité.
Après tout, ce que j’ai fait est « grave », non ?
Mais rendre cette enquête inutile ne suffit pas, il faut aussi qu’elle soit pénible. Votre police est tout de même allée jusqu’à convoquer mon petit ami pour, entre autres questions déplacées, lui demander si ça le dérangeait de ne pas savoir où et avec qui je dormais certaines nuits. A ces questions intrusives, se sont ajoutées des auditions de témoins clairement orientées et des méthodes d’enquête agressives sur le corps médical. L’IGPN est tout de même allée chercher mon médecin traitant dans son propre cabinet ! Apprenant cela, mon avocate et même l’adjoint au maire agressé ont du intervenir auprès de vous et de la préfecture de police pour réclamer que cessent ces méthodes déloyales.
Il n’en fut rien. Vous avez opposé à nos demandes la saisie par la puissance publique de l’intégralité de mes dossiers médicaux chez mon médecin et dans les hôpitaux, alors que vous aviez déjà tout. Autrement dit, l’enquête n’a pas plus avancé. J’ai même du me rendre à Montpellier, à votre demande, pour qu’une nouvelle expertise soit réalisée, par un autre ophtalmologiste. Apparemment, les éléments saisis directement auprès du corps médical ne vous convenaient pas. Il fallait encore que j’aille dans une autre ville comme si, d’un médecin à l’autre, un mal-voyant pouvait redevenir valide.
Et, Montpellier n’étant pas Lourdes, le diagnostic n’a pas été différent de ceux déjà réalisés : Je suis aveugle de l’œil droit. Le nerf optique ne se régénère pas, ce que l’on se trouve à Marseille ou ailleurs.
Mais voilà que je prends connaissance par mon avocate de cette nouvelle approche : certes, je ne vois plus d’un œil, mais cette cécité est-t-elle réellement due au coup du policier ? Faisons de nouveaux examens pour être bien certains qu’elle n’est pas étrangère à la sortie de mon œil de son orbite, au lendemain du coup qui m’a fracassé le crâne. Après tout, on ne sait jamais, peut-être qu’à l’IRM on détectera que c’est un petit lutin logé derrière mon œil qui s’amuse à débrancher les câbles. Tout ce cirque plutôt que l’admission d’un fait simple : la police peut être violente. Croyez-moi, on peut l’entendre sans s’étouffer.
Alors soit ! Puisqu’il faut démontrer que je n’étais pas déjà borgne avant d’être éborgné, je mets fin à cette procédure ridicule, en vous transmettant des examens ophtalmologiques antérieurs à l’agression. Ce ne sera pas très difficile à prouver : j’avais la même myopie à chaque œil, avant qu’un chien de Pétain ne me permette de faire des économies en lentilles correctrices. Vous avez déjà, me semble-t-il, obtenu les PEV, dont les signaux électriques avaient clairement démontré l’atteinte du nerf optique. Vous allez, par votre désintéressement à ce dossier, devoir classer l’affaire d’un acte homophobe dirigé contre notre communauté par l’autorité publique.
Compte tenu des dysfonctionnements excessifs des institutions policières et judiciaires dans ce dossier, je ne m’attends pas à gagner le moindre procès, même s’il avait lieu. Je n’ai de toute façon jamais eu une telle certitude. Aucun éborgné par la police n’a obtenu justice à ce jour et rien ne laisse présager que j’aurai droit à un traitement différent du leur. De plus, je ne souhaite pas continuer de faire comme si ce pays allait bien.
Non, la police n’est pas l’alliée des personnes LGBT et, non, la justice ne peut rien lorsqu’un flic a décidé de « casser du pédé ». Ici, comme en Hongrie ou ailleurs, nous devrons nous battre en connaissance de ce fait.
Refusant de persévérer dans l’illusion d’une procédure utile et équitable, je retire ma plainte.
Très cordialement,
Alexandre Georges »