Dans une interview donnée au site sidaction.fr, le médecin Michel Ohayon, fondateur du centre de santé sexuelle communautaire parisien Le 190, souligne que la PrEP (prophylaxie pré-exposition contre le VIH), malgré son efficacité prouvée, reste sous-utilisée en France, près de dix ans après sa mise à disposition. Il appelle à une simplification du système, une meilleure promotion, et une augmentation des investissements pour faire de la PrEP un succès en France.
- 1. Quelles stratégies de communication et de sensibilisation pourraient être mises en place pour mieux informer le public et les professionnels de santé sur la PrEP ?
En ce qui concerne le public gay, je ne pense pas qu’il y ait un besoin d’information au sens propre. Le terme PrEP est omniprésent sur les applications de rencontre et tout le monde ou presque finit pas savoir que ça existe. Le paradoxe, c’est le manque d’information des professionnels de santé. Aujourd’hui encore, des patients me racontent que des pharmaciens ne comprennent pas mon ordonnance (je rassure, elle n’est pas manuscrite), ni pourquoi la personne n’est pas à 100% comme tous les séropos. Il y a toujours des médecins qui ne connaissent pas la PrEP (ni le traitement post-exposition d’ailleurs) mais, surtout, beaucoup sont peu au fait de ce que c’est réellement et ont des représentations assez négatives de l’outil. Plusieurs travaux encore récents ont démontré par ailleurs qu’une majorité de gays ne faisaient pas état de leur orientation sexuelle auprès de leur médecin généraliste. C’est encore plus vrai pour les HSH non identitaires ou issus de cultures très homophobes.
JJe crois qu’il y a tout de même deux choses importantes à rappeler, et cela fait plus (17 ans) ou moins (9 ans) que tout le monde, du moins les soignants et les personnes les plus exposées (HSH, personnes d’origine afro-caribéenne ou ayant vécu dans un pays de forte endémie) devrait le savoir. Une personne qui connait sa séropositivité est traitée efficacement et ne peut transmettre le VIH. L’info date de 2008. La PrEP est remarquablement efficace et elle est accessible en France depuis 2016. Les données des études comme de « vraie vie » nous confirment qu’une stratégie de prévention basée sur la PrEP est plus efficace qu’une prévention par le préservatif. Si l’on fait un mélange de ces deux réalités, on a tout simplement la fin de l’épidémie ce qui est toujours l’objectif pour 2030 (zéro nouvelles contaminations). On n’en prend pas du tout le chemin, alors que les outils sont là. S’il y a une chose que tout le monde devrait savoir, c’est bien celle-là.
A côté de cela, les discours restent figés depuis des décennies. On continue à dire que le VIH « ne se soigne pas », que « les traitements sont lourds » parce qu’on croit que, si l’on disait que les choses vont mieux aujourd’hui, tout le monde se contaminerait. C’est évidemment faux à moins de prendre nos contemporains pour de parfaits abrutis qu’ils ne sont pas. Pour ce qui est de la PrEP, elle ne devrait être qu’une alternative au préservatif qui doit rester la base de la prévention. Pourquoi ? Parce qu’elle serait furieusement toxique et donnerait aux usagers un sentiment de fausse protection contre les IST (et on en revient à la présomption d’idiotie de nos patients). La toxicité de la PrEP en vraie vie est un non-sujet. Quelques problèmes de tolérance, peu fréquents, handicapent certains, mais ça s’arrête là. Quant à la fausse protection (« ça protège du VIH, pas du gonocoque », phrase redondante), non seulement c’est également un non-sujet (avoir le VIH et avoir une chaude-pisse, il me semble que l’enjeu n’est pas le même) et, de plus, c’est faux dans la mesure où la PrEP permet à ses usagers de bénéficier d’un suivi en santé sexuelle bien plus efficace que l’usage plus ou moins correcte du préservatif.
Il va falloir admettre que, chez les HSH, l’usage du préservatif recule et va continuer de reculer, qu’on trouve cela bien ou mal, tout simplement parce que nous sommes à plus de 40 ans d’épidémie et que les générations Z ou alpha sont bien loin de la réalité de l’épidémie telles que des gens comme moi ont pu la vivre.
Faut-il mettre tout le monde sous PrEP ? Non évidemment, cela n’a d’intérêt que là où le virus circule activement mais, chez les HSH, cela devrait aujourd’hui être la méthode de prévention de référence puisqu’elle est la plus efficace et qu’un gay a 200 fois plus de risque de contracter le VIH qu’un hétéro. Pour ces derniers, ils continuent d’utiliser plus ou moins le préservatif, surtout comme contraceptif (et ce n’est pas ce qui se fait de mieux en contraception) et c’est très bien ainsi puisqu’il n’y a jamais eu véritablement d’épidémie chez les hétéros hors populations spécifiques qui, elles, sont les grandes oubliées de la PrEP. Là où un travail de sensibilisation des usagers et des soignants est un enjeu majeur, c’est bien auprès des populations afro-caribéennes : comment leur proposer la PrEP sans que cela soit un stigma ? Le rôle des communautés est majeur, mais les initiatives sont trop modestes par rapport aux besoins.
2. Comment simplifier le parcours d’accès à la PrEP pour les usagers, notamment en élargissant le rôle des médecins généralistes et en réduisant les délais d’attente ?
Il y a le parcours institutionnel. Les services hospitaliers, qui n’ont pas de CeGIDD, sont condamnés à stagner dans le développement de la PrEP. On ne va pas en infectiologie quand on n’est pas malade et ce parcours d’exception pour la PrEP envoie un message à mon sens contre-productif. Les CeGIDD, c’est un autre problème. La PrEP fait partie de leurs missions et ils reçoivent un financement pour cela, y compris pour la distribuer gratuitement aux personnes sans couverture sociale (et chez les travailleu.r.se.s du sexe et, tout simplement beaucoup de gays migrants, ce n’est pas du luxe). Il y a deux problèmes. Certains CeGIDD ne jouent tout simplement pas le jeu. On le sait et, pourtant, leurs agréments ont été renouvelés. Pour rappel, leurs missions, c’est de concentrer leurs efforts sur les publics les plus exposés au VIH, diffuser la PrEP, assurer les traitements post-exposition. On se fait encore refouler de certains CeGIDD pour une demande de PrEP ou de TPE. L’autre problème, c’est l’organisation de ces lieux, avec des consultations de dépistage et des consultations de PrEP qui sont distinctes. Le dépistage, c’est le moment où l’on peut voir arriver quelqu’un en pleine phase de prise de risques et, surtout, de prise de conscience. C’est tout de suite qu’il faut instaurer la PrEP et, objectivement, on s’en fiche un peu que les résultats du bilan initial et d’un test VIH de 4e génération ne soient pas revenus au moment où on instaure la PrEP. En cas de problème, ça se rattrape très bien et si l’on ne fait pas comme ça, on revoit la personne quelques jours plus tard, rassurée par ses résultats négatifs et la PrEP n’est plus la préoccupation du moment. Si on donne un rendez-vous plusieurs semaines, voire plusieurs mois après, on a raté l’occasion. On me dit parfois que la PrEP doit être instaurée par un médecin spécialement formé… Mais si tous, dans les CeGIDD, ne le sont pas, qu’y font-ils ? Les ARS n’ont peut-être pas fait partout le ménage nécessaire.
Maintenant, les CeGIDD, c’est un dispositif ancien, dont l’utilité même est très discutable aujourd’hui quand on voir qu’ils réalisent moins de tests VIH que les laboratoires d’analyse dans le cadre du dépistage sans ordonnance. Ce n’est de toute façon pas avec eux que la PrEP va se développer alors que tout le discours public est basé sur l’offre institutionnelle.
C’est bien en médecine de ville que les choses doivent se faire. Cela fait bien longtemps que le VIH n’est plus une priorité en formation continue, mais au travers de la santé sexuelle, il y a moyen de faire des choses. Deux obstacles majeurs : le manque de plus en plus criant de médecins, et la difficulté persistante pour les personnes d’évoquer leur orientation sexuelle (je parle des HSH, car pour les autres populations, c’est encore une autre démarche). En fait, je ne pense pas aujourd’hui que cela doive venir des autorités de santé et des tutelles, mais des patients eux-mêmes. Je pense qu’aider les gays à s’imposer dans le système de soins, demander, exiger, les soins nécessaires, marcherait infiniment mieux qu’engager la médecine de ville unilatéralement à résoudre un problème de plus.
Quelles mesures concrètes pourraient favoriser l’introduction et le développement de la PrEP injectable dans le système de santé français ?
Actuellement, la PrEP injectable par le Cabotégravir a le paradoxe d’être autorisée, disponible, de faire l’objet de recommandations mais de ne pas être utilisable. Le médicament existe déjà pour le traitement du VIH (c’est le VOCABRIA®), il doit sortir sous un autre nom (APRETUDE®) pour la PrEP, surtout pour pouvoir être délivré moins cher. Et le problème est là : depuis des mois, le prix est en négociation entre l’assurance maladie et le laboratoire qui fabrique le produit qui, notons-le, est une molécule assez récente qui n’est pas encore génériquée. Il va falloir qu’un terrain d’entente se dégage, mais en dehors des parties en cause, personne ne peut rien faire. D’autant que les associations sont en attente d’un autre médicament, déjà disponible pour la PrEP aux Etats-Unis, le Lénacapavir, qui n’a pas d’autorisation de mise sur le marché en Europe dans la PrEP et dont le coût, pour l’instant, est monstrueusement élevé.
Ce qui est factuel, c’est qu’on devrait pouvoir utiliser le Cabotégravir le plus vite possible. Il s’injecte en intramusculaire tous les deux mois et présente l’avantage d’une efficacité supérieure à la PrEP orale, même si c’est vraiment à la marge, et que cela tient surtout au fait qu’il est plus difficile de l’oublier étant donné son mode d’administration. Cela peut répondre aux difficultés légitimes de certains avec la PrEP classique (intolérance digestive, difficulté à suivre le schéma de prise, nécessité de se cacher) et, depuis le COVID, cela pourrait presque être perçu comme un vaccin (on a pris l’habitude de se vacciner de manière rapprochée contre une maladie), bien que cela n’en soit pas un. Surtout, c’est une formidable occasion, bientôt 10 ans après la mise à disposition de la PrEP, de relancer l’info, la communication sur la PrEP et le TasP. Les recommandations d’usage qui accompagnent la PrEP injectables sont, à mon sens, trop restrictives (elle devrait être réservée exclusivement à ceux pour qui la PrEP classique n’est pas pertinente) alors qu’il faut absolument développer l’usage de la PrEP. SI je pense aux situations de personnes hétérosexuelles, vivant dans des communautés traditionnellement méfiantes vis-à-vis du VIH, dont les modes de vie imposent de se cacher, la PrEP injectable est une réponse parfaite. Et encore plus pour les femmes qui n’ont pas la possibilité de prendre de la PrEP classique à la demande.
4. Quel budget ou financement supplémentaire serait nécessaire pour un déploiement efficace de la PrEP à l’échelle nationale, et comment mobiliser ces fonds ?
C’est une bonne question, mais elle est pour l’ARS, voire pour les ministres. Les sommes consacrées à la PrEP sont relativement faibles au niveau national en regard de ce qu’on dépense pour la prise en charge du VIH. Nous sommes loin d’avoir atteint le seuil d’usagers de la PrEP suffisant pour diminuer significativement la circulation du virus (comme cela a été fait à San Francisco) et donc la PrEP n’a d’impact que sur ceux qui la prennent. Or, elle devait être un outil de prévention non pas seulement des individus mais des communautés. Comme on a raté le démarrage, le coût de la PrEP s’ajoute au coût du VIH. Si la PrEP se déploie significativement, il devrait faire baisser le nombre de nouvelles contaminations et avoir un impact économique sur les dépenses liées au VIH. Mais comme toujours, on est dans de l’investissement immédiat pour un retour différé, alors qu’on exige des économies immédiates.
Une chose à la marge, mais qui reste une anomalie : les ARS n’ont pas organisé de coopératives permettant aux structures comme les CeGIDD associatifs de se procurer la PrEP à des prix compétitifs. Les hôpitaux concluent des marchés avec les fabricants, nous, nous devons l’acheter en pharmacie et, pour beaucoup, au prix facial, qui est nettement plus élevé.
Ensuite, au-delà de la médecine générale, il faudrait impliquer les gynécologues, et je suis partisan de l’ouverture de la prescription aux sage-femmes qui sont de plus en plus aujourd’hui celles qui prennent en charge la santé sexuelle de femmes en ville. A notre niveau, dans certain CeGIDD, nous mettons en place des protocoles de coopération permettant aux infirmier.e.s de réaliser le suivi de la PrEP.
5. Comment lutter contre la stigmatisation et les discours moralisateurs liés à l’utilisation de la PrEP afin d’encourager un plus grand nombre à y recourir ?
Il y a deux volets : les soignants, et les usagers. Pour ce qui est des soignants, je pense que le renouvellement des générations va beaucoup aider les choses à évoluer. Mais sans un minimum d’information, cela sera insuffisant. Les soignants reflètent souvent une vision sociétale et force est de constater qu’il y a un hiatus de plus en plus important entre l’évolution des représentations sociales de la sexualité dans la population, de plus en plus ouvertes, et celles de nos dirigeants, de plus en plus réactionnaires. C’est un problème qui dépasse largement nos communautés.
Les usagers sont aussi soumis à ces discours ambiants. Il faut avouer que dans les communautés gays/HSH, les discours n’ont pas été toujours très univoques et il y a eu un temps un mouvement anti-PrEP assez virulent, qui n’a rien aidé. Les choses semblent pacifiées et je pense qu’il s’agit plus d’un problème des individus appartenant aux minorités à aborder la sexualité et le risque sexuel que d’autre chose. Mais cette réticence ne vient pas de rien.
6. Quelles actions de formation et d’information pourraient être mises en place pour rassurer et former les médecins, notamment en médecine de ville, sur la prescription et le suivi de la PrEP ?
Avant de se poser cette question, il faut déjà voir ce qui existe. La Société Française de Lutte contre le Sida a mis en ligne un module de formation gratuit, réalisé en collaboration avec des associations d’usagers, qui est à mon sens très bien fait. Il est assez peu connu (https://www.formaprep.org/), et il est pourtant très bien fait, et même éligible pour les médecins pour le dispositif de développement professionnel continu. Cela prend un peu de temps, mais c’est par module et c’est très gérable. Il est un peu trop « complet » pour les professionnels qui sont très peu confrontés à la PrEP et qui recherchent un outil plus léger. Pour cela, il y a VIHClic, très peu connu alors que le dispositif AntibioClic, qui guide la prescription d’antibiotiques, est très utilisé par les médecins. VIHClic permet d’avoir des informations en ligne, adaptées à la consultation, sur tant la prise en charge du VIH, les médicaments, que sur la PrEP. Avec ça, on a déjà 2 outils sous-employés qu’il faudrait faire connaître.
Après, je suis convaincu que l’éducation des médecins est faite par leurs patients. Je rêve depuis des années de créer un petit document que les patients donneraient à leur médecin, qui leur expliquerait qu’ils sont homos et que, à ce titre, ils ont des besoins spécifiques, avec des check-lists, des ordonnances type, un truc très léger qui pourrait être diffusé autant dans les lieux qu’en encart dans les revues communautaires, imprimable depuis les applis de rencontre etc. Je n’ai jamais réussi à ce jour à trouver les partenaires et les financements, mais je suis persuadé que cela marcherait mieux que n’importe quoi et, en plus, aiderait considérablement les personnes à faire leur coming-out dans le milieu de soins.
7. Quelles collaborations ou partenariats (associations, institutions, secteur privé) pourraient renforcer la promotion et l’accès à la PrEP ?
Clairement, la balle est dans le camp des institutions. Les seules campagnes d’information sur la PrEP ont été réalisées par AIDES. Nous autres associations et structures militantes, on a eu un peu le sentiment de s’être tapé tout le boulot depuis le début. De même que la promotion du TasP n’a pas été faite, celle de la PrEP ne l’a pas été et parfois, je me demande si nos tutelles y croient. Nos initiatives sont très difficiles à financer alors que l’Etat fait des appels d’offre et finance des dispositifs dont l’intérêt s’est émoussé. On en est encore à ressortir à l’envi la tarte à la crème du « dépistage hors les murs », alors que c’est très peu de personnes touchées, souvent mal ciblé, que l’usage des TROD est en baisse (les gens préfèrent aller au labo sans ordo et on les comprend très bien) et qu’il y a des tas d’autres choses à faire.
8. Comment évaluer efficacement l’impact des mesures prises pour augmenter le déploiement de la PrEP et ajuster les stratégies en conséquence ?
C’est aussi une question pour Santé Publique France dont c’est précisément le travail. Pour ma part, je vois deux indicateurs, qui sont déjà suivis, dont l’évolution serait intéressante à suivre : le nombre d’usagers de la PrEP (un peu plus de 60 000 aujourd’hui, soit 2 à 3 fois moins de monde que les personnes vivant avec le VIH)… Et le nombre de nouvelles contaminations bien entendu !