Depuis plusieurs années, la procréation médicalement assistée (PMA) constitue un enjeu majeur pour la reconnaissance des droits des personnes LGBT+ et des femmes seules souhaitant devenir mères. Si la loi du 2 août 2021 a permis une avancée significative en ouvrant l’accès à la PMA sans requérir une procédure d’adoption pour les couples de femmes, le parcours reste semé d’embûches.
Devenir mère en France n'est pas un long fleuve tranquille. Nombreuses sont celles qui choisissent de contourner la frontière nationale pour accéder plus facilement aux techniques de fertilité dans des pays voisins comme l’Espagne, la Belgique ou le Danemark.
Le cadre légal et les démarches administratives en France
Caroline Mécary, avocate spécialiste du droit de la famille et des droits des personnes LGBT+, explique que la réglementation française a connu des avancées importantes ces dernières années. « Lorsqu’un couple de femmes souhaite avoir un enfant par PMA, elles doivent d’abord consulter un notaire. Ce dernier leur explique la procédure, puis elles signent une reconnaissance conjointe anticipée, un document qui, dès la naissance, permet à l’enfant d’avoir deux mères mentionnées sur l’acte de naissance », détaille-t-elle. La procédure, bien que simplifiée par rapport aux démarches d’adoption, n’est cependant pas toujours rapide : « le délai d’attente peut atteindre deux ans dans certains centres français, ce qui pousse de nombreuses femmes à se tourner vers l’étranger ».
Pour celles qui optent pour la technique de la ROPA — réception d’ovocytes de leur propre partenaire, puis transfert dans un embryon créé à partir de leurs ovocytes — la situation est différente. « La ROPA n’est pas autorisée en France depuis la loi de 2021 », précise Caroline Mécary. « Elle est pratiquée dans certains pays comme l’Espagne, mais pas en France. » La technique reste un pari risqué pour celles qui souhaitent rester dans un cadre strictement français, sur le plan juridique comme médical.
Les enjeux de l’accès aux traitements et à la filiation
Ce cadre juridique, malgré sa progression, ne répond pas toujours aux attentes des couples. La prise en charge partielle par la Sécurité Sociale constitue une bonne nouvelle, mais elle reste limitée : « en principe, les trois premières tentatives de FIV sont remboursées, mais au-delà, il faut en assumer le coût », souligne Caroline Mécary. En matière de disponibilité, le problème majeur demeure la pénurie de gamètes. « La France a besoin de davantage de donneurs, mais il n’y a pas de campagnes de sensibilisation efficaces pour encourager le don ». Cet aspect logistique engendre des frustrations profondes pour celles qui, face à la rareté, n’ont d’autres choix que de voyager à l’étranger pour accéder à des dons de qualité et de variété.
Marjo et Charlotte : le parcours avant la loi
Pour Marjo, 39 ans, et Charlotte, 34 ans, le désir de maternité était « une évidence » et a conduit le couple à entamer des démarches pour une PMA dès octobre 2020. À cette époque, la loi française n'était pas encore en vigueur, ce qui a rendu le choix de l'étranger inévitable. « On était confinées... on avait envie avant le Covid, mais il y a eu le Covid qui a stoppé », explique Marjo. Le couple a choisi le Danemark pour leur parcours. « Nous avons fait le choix du Danemark pour sa facilité d'accès et la qualité de ses banques de donneurs », confie Charlotte. Elles ont ainsi pu obtenir un embryon pour la future petite Rose.
Leur parcours, bien que jalonné d'espoir, a également mis en lumière le paradoxe d'une situation où le couple doit faire face à une forme de clandestinité en France. Les examens médicaux doivent être réalisés en France avec la « complicité » de médecins, et les actes d'insémination et de fécondation se font à l'étranger. « C'est un peu le parcours du combattant, mais on ne regrette rien » explique Marjo. Pour elles, le désir d'enfant était si fort qu'il a primé sur toutes les difficultés administratives et logistiques. Les voilà pour la seconde fois mères. Après Rose née en 2022, elles viennent d’accueillir dans leur cocon une petite Suzanne, né à l’orée de l’été 2025. Une famille qui s’est construite sur le même schéma. En effet, c’est Marjo qui a portée également leur second enfant. Plaisir d’enfanter, joie de la grossesse et perspective de faire donner à leur désir de famille un accent de complétude avec deux enfants proches en âge. Elles ont réitéré le processus en retournant au Danemark alors qu’elles auraient pu désormais lancer une démarche en France. Une assurance à l’étranger d’avoir une filiation complète puisque c’est le géniteur reste le même pour les deux enfants.
Mathilde et Laura : un choix de liberté
Pour Mathilde, 36 ans, et Laura, 34 ans, le désir d'enfant était également une évidence qui remontait à leur enfance. « Ça a toujours été une volonté en fait depuis toute petite. Je ne l’ai jamais vraiment questionné, le fait de vouloir ou pas, c'était une évidence pour moi » témoigne Laura. Un sentiment partagé par Mathilde : « moi, même quand je me suis dit que j'étais avec Mathilde, je ne me suis jamais dit que je n'aurais jamais d'enfant, mais pour moi c'était une évidence que j'aurais un enfant un jour ».
Face à cette évidence, les deux femmes se sont également tournées vers l'étranger, et ont choisi la Belgique. La loi française n'étant pas encore applicable, elles ont opté pour une clinique qui leur offrait rapidité et liberté de choix. « On est très contentes d'avoir fait le choix de la Belgique, car c'était très rapide et il y avait un grand choix de donneurs » explique Mathilde. Ce choix de l'étranger leur a offert une plus grande liberté et un accès à des informations plus détaillées sur les donneurs, un élément qui n'est pas toujours aussi transparent en France. « Il y a quelquefois où je suis obligée de me forcer pour me rappeler de la tannée que ça a été pendant deux ans » avoue Laura, le bonheur d'être mère faisant oublier les difficultés du parcours.
Aujourd’hui Rose, leur petite blonde âgée de plus de 24 mois va sous peu avoir un frère ou une sœur. Elles se sont lancées elles aussi dans une seconde tentative toujours en Belgique au « regard des temps de délais de prise en charge en France » . Leur détermination à construire leur famille a été renforcée par la facilité d’accès offerte par ce pays, contrastant avec l’attente interminable vécue par d’autres.
Sophie & Cathy : un projet en demi-teinte
Si la loi de 2021 a marqué une avancée majeure, l'accès effectif à la PMA pour toutes en France est encore un processus en pleine construction. Les défis restent nombreux, mais la volonté d'élargir les droits parentaux et de faciliter ces parcours est indéniable, traçant un chemin vers une société plus inclusive. Pour beaucoup de françaises, le trajet est long et périlleux.
Pour Sophie* et Cathy* l’aventure est celle d’une incompréhension totale. « Nous étions euphoriques à l’idée de pouvoir être mamans. Nous avons donc fait tous les rendez-vous nécessaires pour lancer une PMA en France, mais nous voulions que ce soit un embryon de Sophie qui soit implanté en moi et là première déception », explique Cathy. L’idée de porter l’enfant de sa conjointe était pour elle un acte d’amour et militantisme. « Lorsque les couples hétérosexuels font un enfant, c’est le fruit de leur union, nous voulions symboliquement reproduire cette communion ».
Manque de chance, la France interdit ce que l’on nomme une ROPA. « Mais faire famille était plus fort que tout. Nous avons donc plié sans vouloir nous rendre en Espagne pour profiter de cette opportunité. La France nous a donné accès à la PMA nous voulions en être les bénéficiaires… », rétorque Sophie. Une fois évacué cet aspect, c’est la durée du protocole qui les a fait déchanter : « nous attendons un don de gamètes depuis des mois et des mois. Nous savions que cela allait prendre du temps, mais c’est dur car le temps passe, et nous ne savons pas quand un donneur sera disponible ».
Malgré tout cela, elles ne lâchent rien. Mères, elles le sont et elles se sont fait une raison. « Une fois dans le circuit, il faut tenir bon, car un jour sera le bon », sourient-elles pleines d’espoir et dotées d’une patience à tout rompre.
L’échec d’aujourd’hui, la possibilité de demain
Ces parcours de résilience témoignent d’une volonté forte d’accéder à la parentalité, malgré les obstacles. La législation française, en évolution, ne permet pas encore une extension totale des droits, notamment pour les personnes transgenres, qui rencontrent souvent des obstacles administratifs pour faire reconnaître leur filiation dans le cadre de la PMA. « La reconnaissance de la filiation trans est un enjeu crucial », insiste Caroline Mécary. « Elle doit évoluer pour respecter la diversité des parentalités modernes. »
Les enjeux éthiques et sociétaux
Les résistances éthiques à la PMA, notamment pour les couples de même sexe ou les personnes trans, restent vives dans certains pans de la société. « Ces oppositions servent souvent de prétexte à des discours discriminatoires » analyse Caroline Mécary. « Elles cachent parfois des préjugés qui nourrissent des résistances culturelles et religieuses ». La question des embryons, des dons de gamètes, ou encore de la manipulation génétique, alimentent un débat qui dépasse souvent la frontière du droit pour toucher à des considérations morales. L’opinion publique et la volonté politique semblent toutefois évoluer dans le sens d’une plus grande ouverture. La loi de 2021 a marqué une étape importante, mais beaucoup est encore à faire. À court terme, Caroline Mécary évoque une tendance à la banalisation, voire à la normalisation légale de la parentalité trans ou des parcours issus de PMA. « La société doit reconnaître la diversité des familles. Il faut continuer à agir pour que le droit devienne un outil d’inclusion, et non pas d’exclusion. »
Les perspectives pour les années à venir
Selon l’avocate, il est peu probable que de grandes reculades aient lieu dans le contexte politique actuel. La normalisation de la parentalité trans, avec une reconnaissance de la filiation plus fluide, pourrait constituer une prochaine étape. « L’idéal serait d’étendre la reconnaissance de la filiation dans tous les cas, pour que chaque famille puisse se construire dans la dignité et la sécurité juridique », affirme-t-elle.
Les avancées législatives ne suffisent pas à elles seules à répondre aux aspirations profondes des personnes souhaitant devenir parents. La situation de la PMA en France reflète une société en mutation, tiraillée entre l’envie d’égalité, les conservatismes éthiques, et les enjeux logistiques et financiers. Choisir l’étranger souligne la nécessité d’un changement structurel, d’un accès égalitaire, et d’un dispositif rénové pour que la parentalité ne soit plus un parcours du combattant, mais une étape naturelle accessible à toutes.
* les prénoms ont été modifiés sur demandes des témoins.
Avec les remerciements à Maître Caroline Mécary,
avocate spécialiste du droit de la famille et des droits des personnes LGBT+ au barreau de Paris
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La PMA et son lexique
PMA (Procréation Médicalement Assistée) : Ensemble des pratiques cliniques et biologiques permettant la conception en dehors du processus naturel.
AMP (Assistance Médicale à la Procréation) : Terme équivalant à PMA, souvent utilisé de manière interchangeable.
FIV (Fécondation In Vitro) : Technique de PMA consistant à féconder des ovocytes par des spermatozoïdes en laboratoire, puis à transférer les embryons obtenus dans l'utérus.
Insémination Artificielle (IA) : Technique de PMA consistant à introduire des spermatozoïdes directement dans l'utérus de la femme au moment de l'ovulation.
Don de gamètes : Don de spermatozoïdes ou d'ovocytes par une personne à un couple ou à une femme célibataire.
CECOS (Centre d'Étude et de Conservation des Œufs et du Sperme) : Organismes responsables de la collecte, de la conservation et de la distribution des gamètes en France.
ROPA : Il s’agit d’une technique de procréation assistée proposée aux couples de femmes. La Réception des Ovocytes de la Partenaire (ROPA) repose sur le partage de la conception du bébé entre les deux compagnes
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La loi de 2021 sur la PMA
La loi de bioéthique du 2 août 2021 a été un tournant majeur :
• Ouverture de la PMA : Elle a ouvert la PMA aux couples de femmes et aux femmes célibataires, qui peuvent désormais en bénéficier en France.
• Remboursement : La PMA est prise en charge par l'Assurance Maladie pour toutes les bénéficiaires, dans la limite de six tentatives d'insémination artificielle et de quatre tentatives de FIV.
• Filiation : La loi a mis en place un nouveau mode d'établissement de la filiation pour les enfants nés de PMA au sein d'un couple de femmes. Avant la naissance, les deux femmes doivent faire une reconnaissance conjointe anticipée de l'enfant devant notaire.
• Accès aux origines : La loi a également créé une Commission d'Accès aux Données non Identifiantes et à l'Identité des Tiers Donneurs (CADID) pour permettre aux enfants nés de PMA avec don d'accéder, à leur majorité, à l'identité de leur donneur s'ils le souhaitent, et ce, pour les dons réalisés après l'entrée en vigueur de la loi.
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Les chiffres de la PMA en France en 2024
PMA : x 8,5 par rapport à la période précédant la révision de la loi de bioéthique 2021
Augmentation en 2024 du nombre de tentatives pour les couples de femmes et femmes solo. Depuis 2021 : 12 100 tentatives
Mais augmentation du temps de prise en charge :
au 31 décembre 2024, elles sont 10600 à attendre avec don de sperme. Augmentation significative car à la même date en 2023, elles étaient 7600.
38% sont des couples de femmes
45% des femmes non mariées
Pour de la consultation au 1er essai, temps moyen de 17,7 mois contre 15,5 en 2023
Avec don d’ovocyte :
Également une augmentation significative puisque les femmes non mariées et couples de femmes sont 2770 (2430 en 2023)
Ce qui représente : 11,7 % de femmes non mariées
2,3 % de couples de femmes
Quant au délai, il est passé à 24 mois alors qu’il était de 23 mois en 2023
• Taux de succès : Variable selon l'âge et la technique utilisée, mais se situant autour de 15 à 25 % par tentativeen moyenne.
• Délai d'attente moyen : De 17 mois, principalement en raison du manque de donneurs.
Source www.LeaetCapucine.com


