Unique en son genre, la conférence internationale lesbienne EL*C rassemble à chaque édition plusieurs centaines d'activistes du monde entier. Elle a lieu tous les deux ans dans un pays différent. Cette année elle se déroulait à Rome. On y était.
Avril 2025, Rome. La ville éternelle est en plein émoi, le pape Francois est mort. Tandis que se préparent les funérailles pontificales, que des nuées de croyant.e.s du monde entier déferlent dans les rues du centre-ville historique, un autre pèlerinage se profile en parallèle, loin du tumulte catholique. Plus de 700 activistes lesbiennes issu.e.s d'une cinquantaine de pays se sont données rendez-vous dans un business hôtel d'un quartier excentré de la capitale italienne.
C'est la quatrième conférence de l'EL*C, l'EuroCentralAsian Lesbian* Community, un réseau s'étendant grosso modo du Portugal au Kazakhstan, englobant à la fois pays de l'UE et anciennes républiques soviétiques. Portée par des activistes d'une quinzaine de nationalités, l'EL*C compte entre autres, côté français, les militantes lesbiennes Silvia Casalino et Alice Coffin. Le leitmotiv du réseau : « apporter le génie lesbien au monde ». Une profession de foi ni pédante ni conquérante, non : jubilatoire. Il suffit de lire l'essai publié par Coffin en 2020, Le Génie Lesbien, pour s'en convaincre. Ou d'assister à l'une des conférences de l'EL*C pour y voir l'étendue des ressources qu'une communauté de tous temps méprisée, encore et toujours invisibilisée, est capable de déployer quand on lui en donne l'opportunité. « Nos conférences sont nos phares », affirment d'ailleurs les activistes de l'EL*C sur leur site web.
Après Vienne, Kiev et Budapest, et une tentative avortée, faute de soutien institutionnel, d'organiser une quatrième édition au Kazakhstan, la conférence lesbienne se tient donc à Rome cette année. Un choix justifié par la situation politique actuelle : en Italie, les mères lesbiennes non biologiques sont alors menacées de voir leur nom effacé du certificat de naissance de leur(s) enfant(s), en raison d'une circulaire émanant du gouvernement de l'homophobe (entre autres) Giorgia Meloni. Ce grand raout lesbien, c'est un poing tendu face à l'extrême droite au pouvoir en Italie.
Au programme : trois journées d'échanges autour du lesbianisme politique et des luttes menées par des activistes de tous horizons et de tous âges pour faire face au backlash lesbophobe, transphobe et queerophobe auquel font face presque toutes les associations, collectifs et autres organisations présentes à la conférence. Partout, les droits des lesbiennes sont aujourd'hui en danger ou ont déjà été mis à mal. Du matin au soir, panels, présentations et workshops se suivent. Il y est question d'écoféminisme décolonial, des lesbiennes en politique, des mouvements « anti-genre », de la place des femmes trans et des femmes bi dans le mouvement lesbien, de festivals, de collecte de fonds pour pouvoir organiser des événements communautaires... On hésite entre le cours d'autodéfense ou le speed dating, la lecture collective d'un essai sur l'antiracisme ou une discussion sur la littérature lesbienne. On regrette presque de ne pouvoir se dédoubler pour ne rater aucune pépite de ce programme foisonnant. On repartira cependant avec plusieurs dizaines de contacts de militantes d'ici et d'ailleurs, certaines du bout du monde. C'est ce qui fait aussi le sel de la conférence, qui tient haut la main ses promesses de réseautage.
Autre particularité : liant joyeusement le théorique à la pratique, chaque rassemblement s'achève sur une Dyke* March, la marche des fiertés lesbiennes. En 2022, à Budapest, la manif avait eu lieu en plein centre-ville, paisiblement. Un fait inimaginable en avril 2025, alors que la Hongrie homophobe d'Orban vient d'annoncer vouloir interdire la Pride de Budapest. Mais à Rome, c'est un obstacle de toute autre nature qui s'annonce : le Vatican a eu la bonne idée d'enterrer le pape le 26 avril, pile pour la journée internationale de la visibilité lesbienne (!!). En conséquence, toutes les manifestations prévues ce jour-là en centre-ville sont annulées. La marche aura tout de même lieu sous forme de rassemblement et de micro-parade – un tour de bloc – dans un quartier excentré de Rome. Ce jour-là à Rome, les lesbiennes sont malheureusement restées invisibles, mais leur joie d'être ensemble était contagieuse.
Au final, c'est cette euphorie qu'on emporte avec soi après avoir passé une demi-semaine ensemble - et comme une urgence de se revoir bientôt. Au plus tard dans deux ans en Grèce. C'est sur l'île de Lesbos, le berceau de la poétesse grecque lesbienne Sappho, que se tiendra le prochain sommet de l'EL*C.
Infos : europeanlesbianconference.org