Des femmes seins nus en soirée techno : « l’espace nous appartient ! »

Garance Fragne

Plusieurs femmes, adeptes des soirées techno, racontent leur pratique du topless. Qu’elles le fassent pour des raisons politiques ou de température, elles souhaitent que leur torse soit perçu aussi naturellement que celui d’un homme. 

Depuis quatre ans, Alice* retire de temps en temps son haut en soirée techno.Lorsqu’elle le fait, c’est comme si la comédienne de 30 ans se retirait une entrave, comme si elle était enfin libre. « C’est la même sensation que lorsqu’on enlève un jean après une longue journée, on est en mode " Whouah ! " Je peux faire tout ça ! », clame-t-elle.
Être topless, torse nu, seins nus ou tétons à l’air en soirée, comme le fait Alice, est une action peu documentée en France. Jean-Yves Leloup, auteur et journaliste spécialiste du mouvement électronique, observe que les premières photographies de femmes seins nus commencent au début des années 2010. Ces images ont toutes été prises dans des fêtes queer ou ayant des « vocations transversales » comme celles des anciens collectifs techno Possession ou La Toilette. À cette période-là, les pratiques sexuelles dans l'espace de la fête et de la musique refont leur apparition. « Danser seins nus devient un signe de liberté, de désexualisation et en même temps il y a au cours de ces nuits des rapports sexuels peu cachés », rapporte-t-il.

Les premières fois topless

La première fois qu’Alice s’est mise topless, elle est accompagnée de sa sœur au club Motel Campo, situé à Genève : « elle a longtemps vécu à Berlin où elle avait l’habitude de le faire. Elle m’a simplement dit " j’ai trop chaud, j’enlève mon t-shirt ". À côté de nous, des hommes étaient torse nus, et je me suis dit ‘allez, c’est bon, vas-y’. »
De même pour Jeanne, 27 ans, qui lors d’une soirée Toilette en 2020 a imité d’autres femmes : « je me suis sentie à l’aise de le faire et je prends des drogues, donc ça me décomplexe aussi », précise celle qui travaille dans la recherche de fonds et de financement pour une association.

La politique des seins nus

Il y a six ans, lorsque Marion, 28 ans, s’est mise seins nus à une soirée organisée par le collectif Les Sœurs Malsaines, c’était d’abord — et assez simplement — à cause de la chaleur. Mais peu à peu, ce geste est devenu un acte politique. « Parce que j'en ai marre de voir que les hommes ont le droit de le faire et nous non. On ne sexualise pas leur torse, je ne vois pas pourquoi ils devraient nous sexualiser. L’espace nous appartient aussi ! », argue la parisienne, chargée de production.
Alice acquiesce et souligne que c’est d’autant plus politique dans les clubs généralistes où il y a des hommes hétérosexuels. Quant à Jeanne, elle ressent d’abord que c’est un acte de liberté : « C’est un truc purement égoïste. Je suis bien dans mon corps comme ça, j’aime profiter de la musique techno en étant 100 % libre de mes mouvements et en ayant pris de la drogue. Tout s’allie ensemble et ça me fait du bien. »
Un ressenti qui fait écho à celui de Fiona Kelly McGregor, romancière et critique d’art basée à Sydney, qui a déjà organisé avec son groupe d’amis des « teufs queers » en Australie. « Ce n’est pas toujours consciemment féministe. Imagine, il est deux heures du mat’, il fait chaud, tu es pétée, on se sent mieux sans chemise… C’est une politique de plaisir, de femmes queers qui profitent autant que leurs amis gays. Ça se fait pour se draguer aussi… », souffle l’autrice de 60 ans.

Le regard des hommes

Si toutes les femmes interrogées ont un sentiment de puissance et de fierté lorsqu’elles sont topless, elles déplorent souvent des regards insistants d’hommes sur elles et sur leur poitrine. C’est pour cette raison que la dernière fois qu'elle est allée au club Le Gore, situé dans le XIXe arrondissement de Paris, Marion n’a pas retiré son soutien-gorge. Elle sentait que c’était « trop craignos ».
À force, elle a repéré différents types de réactions que les autres teufeurs ont en la voyant. Il y a ceux qui s’en fichent, ceux qui se rincent l'œil et qui l'énervent, et ceux qui sont « ultra-sécures ». « C'est souvent les gays en général, on ne va pas se mentir, ce ne sont pas les hétéros », lâche-t-elle. Parfois ce sont les videurs qui la regardent avec insistance alors même que d’autres hommes sont torse nus dans le club. La chargée de production reçoit en revanche beaucoup de sororité, d’encouragements de la part d’autres femmes. « Elles me disent " tu as trop raison, j'aimerais trop le faire ". "Si je vois qu'elles sont à deux doigts de le faire, j'essaie de les motiver".
En dehors des regards des autres teufeurs, il y a aussi ceux des proches qui peuvent peser. Alice évite d’en parler à sa famille et a dû faire un tri dans son groupe d’amis. « Certaines réactions ne m’ont pas plu, je sais qu’on ne va pas construire une grande amitié car on n'a pas les mêmes valeurs ». De son côté, Jeanne garde un très bon souvenir d’une récente soirée passée avec ses copains où elle s’est mise topless : « je me sentais à l'aise de le faire avec eux, ils étaient à l’écoute ». Marion, elle, se réjouit, avec une pointe d’ironie, de voir sa meilleure amie, « meuf du VIe arrondissement », commencer elle aussi à retirer son haut. 

*prénom anonyme

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