Kevhoney Scarlett, la beauté comme acte militant

Xavier Héraud

Première française à remporter le concours Miss Trans Global, Kevhoney Scarlett semble aussi à l’aise sur les podiums que derrière une banderole en manif. Strobo Mag l’a rencontrée pour dresser son portrait.

Lors des dernières marches des fiertés, à Paris comme en banlieue, difficile de ne pas la remarquer. Une couronne scintillante sur la tête, le poing levé, Kevhoney Scarlett menait le cortège derrière la banderole de tête. En 2024, elle est devenue la première Française à remporter le titre international de Miss Trans Global. Une victoire qui dépasse le simple cadre d’un concours de beauté : pour elle, il s’agit d’un outil de visibilité et d’un tremplin militant. 

Être une femme a toujours été une évidence pour elle. « Ce sont les autres qui, un jour, ont commencé à me faire sentir que j’étais différente », note-t-elle. Elevée entre Guadeloupe et métropole, Kevhoney a aussi vécu à Londres et à New York. Son enfance se déroule sans heurts, jusqu’à l’adolescence. « Au collège, avec les premiers amours, les transformations physiques, les gens et la société t’envoient comme message : tu n’es pas un moule qui nous correspond. Avant ça, je ne ressentais aucune différence. »

Adolescente, elle se forge à travers des modèles de femmes fortes : Amy Winehouse, Michelle Obama, Billie Holiday, mais aussi des figures comme William Dorsey Swann, première drag queen connue à la fin du XIXe siècle. Les figures trans viendront plus tard. « J’ai eu la chance d’avoir un entourage qui me soutient. La transidentité, je l’ai découverte assez tard. C’est en 2019, lorsqu’on m’a proposé de participer à un concours de beauté, que j’y suis réellement entrée. Ça a déclenché mon activisme. »

Les concours comme révélateur

Jusqu’alors, son parcours l’avait menée vers le droit et le marketing : deux diplômes en poche, elle envisageait une carrière classique. Mais le destin prend une autre voie. Un soir de 2019, elle participe à un concours, remarqué par la directrice de Miss T France. Elle se laisse convaincre, hésitante. Elle finit deuxième dauphine. L’expérience est fondatrice.

« Je suis sortie clairement de ma zone de confort. Et puis, je me suis rendue compte que le glamour et la compétition, on y prend goût », indique-t-elle. L’univers des concours de beauté devient alors un terrain d’expérimentation personnelle. Elle enchaîne avec Miss T Caraïbes, puis Miss T World en 2022, où elle décroche une 11ᵉ place. Un résultat décevant, mais qui la pousse à continuer.

La rencontre avec le concours Miss Trans Global, créé en 2020, marque un tournant. La compétition se distingue par son exigence : plusieurs mois de préparation, des épreuves qui mêlent culture générale, engagement associatif et représentation internationale. Il ne s’agit pas seulement de beauté ici, le concours veut former les leaders trans de demain. « On attend de toi ton entièreté, dit-elle. Tu dois porter une voix, un projet, un pays. C’est fou, mais c’est exactement ce qui me correspond aujourd’hui. »

Elle remporte la couronne en 2024. Pour la première fois, une Française – noire et trans – décroche le titre. Une première historique, passée pourtant relativement inaperçue dans les médias hexagonaux. « Soyons clairs, si j’avais été blanche, j’aurais été plus visible, regrette-t-elle. Là, on a la première femme trans française, noire, qui gagne un concours international, et ça fait peur. »

De la scène aux luttes

Les concours ne sont pas qu’un jeu d’apparences : ils ont ouvert les portes d’un engagement plus visible. « Avant, j’étais déjà activiste, mais pas vraiment dans la communauté LGBT+. J’étais surtout investie sur les questions afro-descendantes, les femmes, les personnes racisées. Les concours m’ont amenée à rencontrer d’autres parcours, à fréquenter le milieu drag, à m’exprimer aussi sur les réseaux sociaux. »

Aujourd’hui, son militantisme est structuré. Kevhoney a fondé Inspiration Worldwide, une association qui met en valeur les talents issus des minorités : LGBT+, personnes racisées, handi et valides. En mars dernier, l’Hôtel de Ville de Paris accueillait la première édition des Inspiration.s Awards. Parmi les lauréat·es : Marie-Pierre Pruvot, alias Bambi, icône trans et professeure de lettres, l’ex-maire trans Marie Cau, la militante réunionnaise Raya Martigny, ou encore le réalisateur Alexis Langlois. « L’idée, explique-t-elle, c’est de rendre visibles celles et ceux qui font beaucoup, mais dont on ne parle pas. Il y a une multitude d’exemples, connus ou inconnus, qui peuvent inspirer. »

Cette reconnaissance, elle l’apporte aussi dans la rue. Sa présence en tête des marches n’est pas un hasard. « Les gens me connaissent, ils savent que je travaille vraiment, que ce n’est pas juste du blabla. » Elle insiste sur un point : sa notoriété internationale, elle veut la mettre au service des autres. « Même si ce n’est qu’un peu de lumière, ça peut aider. Oui, il y a en France des associations, des personnes qui agissent, et il faut qu’on le sache. »

Entre glamour et activisme, Kevhoney Scarlett incarne donc une nouvelle figure de militante : une femme trans racisée qui revendique la beauté comme arme politique. Couronne sur la tête et poing levé.

Photos : Xavier Héraud

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