Queer Tube : Jeanne Mas, Toute première fois

Patrick Thévenin

Chevelure corbeau, lèvres écarlates et refrains inoxydables : avec Toute première fois, Jeanne Mas s’impose comme icône pop, queer et éternelle.

Été 1984. La France entière danse et chante de concert sur un refrain qui deviendra culte : Toute première fois. Derrière ce tube au succès fulgurant (le plus grand de sa carrière) se cache une jeune femme encore inconnue, Jeanne Mas. Son nom, son look et son attitude vont marquer à jamais la pop française. Née en Espagne mais élevée dans les Hauts-de-Seine, Jeanne traverse une adolescence sombre, qu’elle évoquera plus tard avec douleur, marquée par des abus. Mais déjà, à 18 ans, la jeune femme rêve d’un destin en lettres d’or. Elle part pour l’Italie où elle cherche sa voie, elle signe un premier contrat et publie un premier single, On the moon, une tentative de disco délavé vite rattrapée par l’oubli. 
C’est sa rencontre avec le jeune Romano Musumarra qui va changer à jamais sa trajectoire. Producteur d’origine italienne, ce dernier a déjà fait parler de lui dans les sphères du disco-spatial avec le projet Automat. Rapidement, il va s’imposer comme l’un des artisans majeurs de la pop francophone des années 80, signant des tubes taillés pour durer comme Ouragan de Stéphanie de Monaco ou T’en va pas d’Elsa. Avec Jeanne Mas, il compose Cuore di vento, la première version, en italien, de ce qui deviendra Toute première fois. Les fans les plus pointus préfèreront toujours cette mouture originelle, mais Jeanne, consciente du potentiel tubesque du titre, décide de l’adapter en français. Démo sous le bras, elle se heurte pourtant à une longue série de refus. Les maisons de disques ne croient pas à cette artiste trop singulière. Jusqu’au jour où Columbia lui ouvre ses portes. En février 1984, Toute première fois sort enfin. C’est l’explosion. Des boucles électroniques redoutables, des mélodies imparables, des synthés flamboyants comme une Cadillac : la chanson capte l’air du temps et le transcende. Entre new-wave glaciale et Italo-disco fiévreuse, le morceau installe Jeanne Mas du côté des rebelles de la pop. L’image de la chanteuse fait le reste. Robes noires, lèvres écarlates, chevelure corbeau : son style, à la croisée du gothique et du glamour, confère au titre une aura quasi mystique. Mais la véritable force du morceau réside dans ses paroles. Cette « toute première fois » ne désigne jamais explicitement un acte ou une expérience. Est-ce l’amour ? Le désir ? La liberté ? L’aventure ? Ce flou nourrit l’imaginaire collectif.

Très vite, le public, notamment gay et lesbien, s’empare de la chanson pour en faire un hymne à l’émancipation sexuelle. Le succès est colossal : 800 000 exemplaires vendus, une huitième place dans le Top 50 fraîchement créé, et même une version anglaise et une parodie par les Charlots. 
Toute première fois propulse Jeanne Mas au sommet et ouvre la voie à deux premiers albums impeccables et une cascade de hits : Johnny Johnny, Sauvez-moi,  En rouge et noir. 
Dans ces années marquées par le règne des synthétiseurs, cette poignée de tubes impose une personnalité singulière et mystérieuse, seule capable de faire de l’ombre à sa rivale Mylène Farmer. Aujourd’hui, Toute première fois reste un classique absolu de la pop française qui traverse les générations de 7 à 77 ans. Indétrônable dans les karaokés, indissociable des mariages et des playlists de Radio Nostalgie, le titre continue d’irriguer la culture populaire. Mais vit aussi une seconde vie sur les scènes électro. En 2023, le DJ et producteur Pablo Bozzi, allié queer du retour de l’Italo-disco, l’a revisité en version Hi-NRG, appuyant son côté fiévreux et ultra-dansant. Et cet été encore, les français Bon Entendeur s’en sont emparés, en livrant une relecture électro musclée, ponctuée de montées et descentes érotiques, accentuant le souffle haletant du morceau. 
Toute première fois n’est donc pas seulement une relique eighties, rangé soigneusement dans un placard, c’est un anthem qui n’arrête pas de faire son retour chargé de la mélancolie de la fièvre des clubs, des larmes de la new-wave et du glamour d’une héroïne rouge et noir.

Thumbnail for youtube Ce contenu pourrait récupérer des données personnelles Cliquez sur le bouton pour autoriser ce contenu

Partager:
PUB
PUB