Autrice, journaliste et artiste, spécialisée dans les questions de sexualité, de féminisme et de désir, Maïa Mazaurette publie « Maison Close ». Un beau livre qu’elle a conçu de A à Z sur plus de deux ans, des textes aux illustrations, et où elle explore l’imaginaire érotique, en mettant l’accent sur le corps masculin et en déconstruisant les stéréotypes autour du désir féminin. Elle y prône la réappropriation de ses propres fantasmes, loin du conditionnement imposé par la pornographie ou les réseaux sociaux, tout en s’inspirant des sexualités queer. Avec l’idée d’encourager chacun à construire son propre univers érotique dans une démarche d’émancipation et de dialogue.
Comment est née l’idée de Maison close ?
Maïa Mazaurette : J’ai toujours été attirée par l’idée de construire quelque chose de nouveau. Dans mon engagement pour le féminisme et la sexualité, un slogan clé était : « tout ce qui est construit peut être déconstruit ». Les représentations du désir, de la sexualité féminine et des femmes en général étaient un vrai fatras qu’il fallait déconstruire. Dénoncer ce qui ne va pas est essentiel, et la colère est importante, mais elle empêche de passer à l’étape suivante et d’imaginer comment les choses pourraient être meilleures. Je me suis demandé : « quel est le meilleur scénario pour la sexualité, du moins pour moi ? Et comment aider ceux et celles qui peinent à l’imaginer à se le représenter à nouveau ? » Le déclencheur a été le livre La chair est triste hélas d’Ovidie. Elle y explique pourquoi elle ne fait plus l’amour avec des hommes et qu’elle ne saurait plus imaginer un rapport sexuel désirable avec eux. Le mot « imaginer » m’a interpellée. Je me suis dit que je pouvais peut-être réparer ou guérir ce manque. C’est ce qui m’a lancée dans cette aventure.
Vous ne détestez pas les hommes pour autant ?
Après #MeToo, j’ai été surprise par la banalisation d’un discours misandre. Cet été, par exemple, lors d’un dîner, des femmes disaient : « les hommes, c’est fini », expliquant qu’elles ne voulaient plus rien avoir à faire avec eux. Leurs raisons sont compréhensibles, mais je n’ai pas perdu confiance dans les hommes ni dans l’hétérosexualité. Je trouve ça fou de devoir défendre ça, mais mon désir se porte vers les hommes, et je veux continuer à l’explorer. Le dialogue autour du désir des femmes pour le corps des hommes reste assez nouveau. Les femmes se sont beaucoup exprimées sur leur propre corps, mais peu sur celui des hommes. Pour moi, c’est un terrain fascinant, inspiré notamment par la culture gay, car il y a très peu de références culturelles sur les femmes qui parlent des hommes de cette manière. Le corps masculin est sous-représenté dans l’érotisme, surtout dans les médias hétérosexuels. Il y a une censure implicite : le corps féminin est vu comme plus « beau » ou « commercial », tandis que le corps masculin est jugé trop pornographique. Avec Maison close, je prends le risque de mettre des corps masculins en avant, même si je ne suis pas sûre que le public suivra. Mais je crois qu’on peut changer les choses, au moins sur les marges.
Comment définiriez-vous Maison close ?
C’est un codex érotique, un grimoire de mes recettes personnelles pour retrouver le désir. C’est une clé pour ceux et celles qui peinent à identifier leur désir. J’ai appliqué ma propre méthode, en mettant sur papier tous mes fantasmes, sans exception. C’était une manière de répondre à la question : « que veulent les femmes ? » On m’a répété mille fois que les femmes ne savent pas ce qu’elles veulent. À 47 ans, j’ai voulu dire : « eh bien, voici 160 pages de ce que moi je veux ».
Vous critiquez l’usage du mot « fantasme », pourquoi ?
Le mot est galvaudé. On l’utilise pour tout, d’une glace à un corps d’homme. Pour moi, le fantasme est un travail personnel d’imagination. Consommer les fantasmes des autres, via la pornographie ou les réseaux sociaux, revient à vivre une sexualité qui n’est pas vraiment la nôtre. Les fantasmes authentiques, ceux qui naissent dans notre tête, sont autonomes et puissants. Ils nous obligent à nous regarder en face, à assumer nos désirs, même ceux qui dérangent. C’est une forme d’émancipation, mais aussi de responsabilité, car on ne peut plus se cacher derrière ce qu’on consomme.
Vous comparez Maison close à un « sextoy pour le cerveau »...
Il y a vingt ans, lors d’un brainstorming avec une entreprise de sextoys, j’avais dit qu’il manquait un jouet sexuel pour le cerveau. Les outils comme le Womanizer résolvent la question de l’orgasme, mais pas celle du désir. Maison Close est une réponse cérébrale, c’est un espace pour stimuler l’imagination, nourrir le désir et le rendre plus précis. C’est un outil pour penser le plaisir autrement.
C’est aussi une invitation à construire sa propre « maison » ?
Je veux que les lecteurs et lectrices créent leur propre maison close. Le livre propose une alternative aux imaginaires dominants, pornographie, dark romance, ou sondages standardisés… En le lisant, j’espère que les gens se poseront les mêmes questions que moi, tout en se disant : « ça, c’est nul, mais ça, j’aime ! » ou « moi, j’imaginerais ce fantasme autrement ». Si, en refermant le livre, ils ont plus de fantasmes, se connaissent mieux et peuvent en parler plus facilement avec leurs partenaires, surtout dans un contexte hétéro où la communication est parfois compliquée, alors j’aurai réussi.
La communauté LGBTQ+ a quelque chose à apprendre de ce livre ?
Le livre s’adresse à tout le monde, pas seulement aux femmes. J’ai été surprise de voir des hommes hétéros, même à 50 ans, me dire qu’ils ne s’étaient jamais posé la question de ce qu’ils voulaient vraiment sexuellement. Ils prennent ce qu’ils peuvent, pas ce qu’ils désirent. Ça montre que la réflexion sur le désir concerne tout le monde.
Maison Close, de Maïa Mazaurette (Editions Anne Carrère)