Fire Island l’île la plus queer au monde

Strobo Mag

Depuis les années 1920, cette île au large de New York est devenue un paradis pour les LGBTQ+. Deux livres magnifiques reviennent sur cet endroit pas comme les autres qui porte cent années d’histoire hautes en couleurs.

C’est un endroit vraiment pas comme les autres. Située au large de New York, Fire Island n’est pas seulement considéré comme un paradis gay, c’est aussi l’ancrage d’une des plus anciennes communautés LGBTQ+ américaines, un lieu d’histoire avec un grand H. 

Principalement accessible par ferry (les voitures y sont interdites) et à une demi-heure seulement de New York en bateau, Fire Island est une fine bande de sable d’un kilomètre de large sur cinquante de long, bordée par l’océan Atlantique. Officiellement apparue sur les cartes en 1850, l’île tire son nom des pirates qui allumaient des feux sur le rivage pour attirer les bateaux. Dès les années 20, Fire Island devient le refuge de toute la scène bohème et jazz, cultivant une tolérance qui va rapidement s’imposer comme le véritable trademark de l’île. À cette époque, elle devient le point de chute des célébrités hollywoodiennes venues s’y reposer, voire s’y encanailler, loin des objectifs des paparazzis, en toute discrétion. On y croise Christopher Isherwood, Patricia Highsmith, Carson McCullers, Tennessee Williams ou encore Truman Capote, qui tous participent à façonner sa réputation. 

À partir des années 1950, la tranquillité et la discrétion du lieu séduisent les gays aisés et fortunés, qui se réfugient à Cherry Groove et Fire Island Pines, les deux spots queer de l’île. Sans oublier The Meat Rack, ce lieu de drague en plein air, caché au milieu des dunes. 
Mais c’est dans les années 70, avec la naissance du disco, que Fire Island s’impose comme un havre de tolérance, de fêtes et de dragues, loin des raids policiers et de la pression de la mafia. Chaque week-end, dans un étrange cérémonial, gays sculptés et drag-queens hautes en couleur débarquent du ferry pour un ballet de baignades dans le plus simple appareil, de tea-dances disco et de cruising non-stop. Un âge d’or de l’homosexualité, pré-sida et post-libération gay, immortalisé dans des livres devenus cultes comme Dancer From The Dance d’Andrew Holleran, Faggots de Larry Kramer (cofondateur d’Act-Up NY) ou encore And the Band Played On de Randy Shilts. 

C’est aussi le décor de Boys In The Sand, un classique du porno signé Wakefield Poole, et un titre sur le premier album des Village People. Sans oublier les sublimes polaroïds de Tom Bianchi, capturant l’explosion disco dans toute sa splendeur, aujourd’hui exposés dans les plus grands musées. 
Fire Island, c’est aussi une architecture iconique. Des maisons sophistiquées, construites en bois brut patiné par les années, sur pilotis pour résister aux tempêtes et inondations. Dès les années 1950-60, l’île devient le terrain d’expérimentations de jeunes architectes influencés par le modernisme. Leurs créations, célébrées par la presse déco de l’époque, définissent encore aujourd’hui l’idéal bourgeois-bohème avec lignes épurées, volumes géométriques simples, toits plats, terrasses panoramiques et grandes baies vitrées ouvertes sur l’océan ou la végétation, renforçant le lien avec l’extérieur. 
Mise en retrait par l’épidémie de sida, qui décime nombre de ses habitués, l’île fait preuve de résilience. Dès les années 2000, elle attire une nouvelle génération de queers désireux de se souvenir de ce morceau de quête vers la libération, et de le réinventer.
Rufus Wainwright la cite dans le morceau Gay Messiah, quand de nombreux films et séries ravivent sa mémoire. Comme la romcom Fire Island, un épisode de la superbe série historique Fellow Travelers, ou encore le documentaire A House Is Not A Disco de Brian Jacob Smith. On n’oublie pas non plus deux beaux livres qui viennent juste de sortir. Fire Island Invasion d’Anderson Zaca, qui retrace l’histoire de l’invasion annuelle des Pines par les drag-queens, née en 1976 après qu’une d’entre elles se soit vue refuser l’entrée d’un restaurant. Ou la réédition exceptionnelle de Fire Island Modernist, classique de 2013 devenu introuvable ou hors de prix, qui documente cette incroyable architecture ayant largement contribué au succès de l’île, bien au-delà du simple trio sea, sex and sun. 

Bien plus qu’un décor pour Instagram, Fire Island est encore aujourd’hui un symbole de liberté, de fête et de mémoire. Une île où se mêlent les fantômes des pionniers de la culture queer et les rêves d’une nouvelle génération, prête à réinventer ce paradis qui, depuis un siècle, en fait un lieu unique au monde.


Fire Island Modernist, Horace Gifford and the Architecture of Seduction (Metropolis Books)

Anderson Zaca : Fire Island Invasion, Day of Independence (Damiani)


Légendes photos 
Tom Bianchi (photo extraite de Fire Island Modernist)
Rubrum House - View from Ocean - Horace Gifford (photo extraite de Fire Island Modernist)
Boys 1968 - MG L S (photo extraite de Fire Island Modernist)
Lipkins House - Pool with Model - Horizontal - Fire-Island-Pine (photo extraite de Fire Island Modernist)
© Anderson Zaca  (photo extraite de Fire Island Invasion)
© Anderson Zaca (photo extraite de Fire Island Invasion)

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