C’est un livre qui manquait dans le paysage des productions queer. Une enquête ultra-fouillée, sur la désinformation transphobe. Elie Hervé, journaliste, travaille sur ce sujet depuis 2019 et propose un travail d’investigation unique. Iel raconte les difficultés, les heurts et aussi la formidable réception de son travail par les personnes trans et leurs allié·es.
Enquêter sur la fabrication de la transphobie, c’est trouver des liens avec une extrême-droite haineuse. Dirais-tu que les transphobes cachés sont tout aussi nombreux ?
La transphobie est partout. Dans le monde du travail, selon un sondage de 2023, en France, 8 recruteurs sur 10, voient la transidentité comme un « obstacle à l'embauche ». Dans une société qui banalise la transphobie à ce point, beaucoup de personnes sont transphobes. Rappelons aussi au passage que la transphobie n'est pas une opinion mais un délit. Dans les faits, cela se traduit par du rejet, des ruptures familiales, l'impossibilité de trouver un logement, un travail et parfois même l'impossibilité d'aller chercher un colis à La Poste. Dans nos communautés aussi, la transphobie est présente. Par exemple, le fait de refuser de sortir, d’être en couple ou de coucher avec une personne uniquement parce qu’elle est trans, c'est de la transphobie.
Tu as été invité partout en France. Ces rencontres ont-elles permis au livre de trouver son public ?
Le livre a été très bien accueilli par la communauté queer et notamment par les personnes trans. C’est la première enquête journalistique de cette ampleur sur les discriminations transphobes systémiques et je pense que beaucoup de personnes se sont senties moins seules et ont trouvé des réponses en lisant Transphobia.
De nombreuses associations ont été fondées pour, par, et avec les personnes trans. Sont-elles tenues à l’écart des médias ?
Dans le journalisme, on nous dit de nous rapprocher des personnes concernées, de trouver des expert·es. Dans les faits, OUTrans, Acceptess T, Espace santé trans, le Flirt-Front Transfem sont très peu sollicitées. A contrario, des anti-trans sont fréquemment invité·es en plateau télé.
Tu as exprimé sur Instagram l’immense fatigue ressentie, face à la haine reçue. Dirais-tu que tu as reçu des torrents d’affection également ?
Oui, j'ai été bien entouré par ma famille choisie, mes ami·es mais aussi par Théodore Fachan, directeur d’ouvrage indépendant, qui m'a accompagné pendant toute la rédaction de Transphobia. J’ai reçu beaucoup de remerciements de personnes trans et de parents qui trouvent des réponses dans ce livre, ce qui m’a beaucoup touché.
Lors de ta tournée de dédicaces, gardes-tu en mémoire, un moment précieux, soutenant ?
Récemment, je suis parti à Sainte Savine, près de Troyes, à l’invitation de l’association Aux Adelphes. Plusieurs personnes sont venues me parler de la transphobie, des bons moments, et la joie qu'iels vivent. D'autres achetaient le livre, se mettaient dans l’herbe, le lisaient et revenaient me parler. C'était une après-midi chill et militante. J’ai aussi vu des personnes rester dans les librairies après les rencontres pour créer du lien.
Les personnes ne savent pas où aller ?
Les associations sont majoritairement à Paris, on manque de cercles de parole, de lieux dédiés aux personnes trans. Le livre a permis de créer ces échanges. J’ai vu, des gens venir pour témoigner, des personnes pleurer. D’autres avaient besoin de conseils pour mieux accueillir les personnes trans dans leurs entreprises. C’était le but aussi : documenter la transphobie systémique pour faire prendre conscience que la transphobie tue.
Enfin, comment se remet-on d’un tel voyage à travers la haine, comment faire pour ne pas sombrer ?
On se remet en mettant en place du care, des moments à soi. Lou Trotignon en parle très bien dans son témoignage pour Transphobia. Là, j’ai besoin d’être trans pour moi et de laisser un peu de côté la visibilité trans.
Transphobia, Enquête sur la désinformation et les discriminations transphobes, Elie Hervé, Solar, 19,90 euros