L’âge du plaisir : réinventer

Agenda Q

Coucher avec un vieux ? Non merci ! Quiconque a déjà fréquenté une appli de rencontre sait à quel point l’exclusion des plus de 50 ans est courante. Certains s’en sortent plutôt bien avec les années, d’autres se sentent déjà mis à l’écart dès la quarantaine. Dans la communauté LGBTQIA+ aussi, la solitude pèse — parfois jusqu’à l’isolement. Alors, comment préserver une bonne estime de soi, nourrir sa libido et rester ouvert à la beauté du monde ? Témoins et experts partagent leurs expériences et leurs conseils.

C’est sur les applis qu’il a commencé à sentir le léger poids des années. Sébastien a 53 ans. Au sauna ou sur la plage naturiste — « ou plutôt dans les bosquets et les dunes », précise-t-il en riant — tout se passe naturellement : « on se voit, on se sourit, on tente le coup ou pas, mais c’est simple », explique-t-il. Modeste, il se décrit comme « ordinaire, ni super musclé, ni super bien monté ». Il a connu les débuts des rencontres en ligne, à l’époque du Minitel, sans photo, aussi ruineuses que fantasmatiques. Puis sont venues les applis, qu’il aborde avec une sincérité désarmante : photos sans filtre, âge réel, et un profil où il se dit ouvert aussi bien au plan rapide qu’à la grande histoire. Pour quel résultat ? « Presque rien. Je ne me sens pas du tout daddy, je ne me reconnais pas dans les catégories. J’ai souvent l’impression que l’autre veut me faire entrer de force dans son fantasme du moment. » Certains entament de longues discussions pour finalement le bloquer sans raison, d’autres ne répondent pas ou cherchent à lui vendre des produits — à lui qui ne consomme aucune substance. Autour de lui, plusieurs amis plus âgés préfèrent enjoliver la réalité, sous prétexte que « c’est la règle » : moins d’années, moins de kilos, plus de centimètres. C’est le cas de Cyril, 67 ans, qui assume jouer du cliché daddy « parce que ça fonctionne » et affiche sur son profil un côté dominant qui n’est pas le sien. Il se rajeunit même de huit ans, « parce que 59 ans, c’est déjà un peu limite sur Grindr », confie-t-il. Sébastien, lui, continue à pratiquer la drague dans le monde réel — saunas, sex-clubs, lieux extérieurs — et ça le fait sourire : « ma génération a tout intérêt à fréquenter encore ces endroits. En face à face, la stigmatisation est bien moindre et le mélange des générations bien plus naturel qu’on ne le croit. En gros, on a moins le sentiment de se faire jeter à un casting. » L’an dernier, il s’est inscrit à des randonnées avec une association LGBTQIA+. Il le confirme : là, l’attention portée à l’autre est plus évidente qu’ailleurs.

Une sexualité transformée

C’est dans la revue Gérontologie et société que Tanguy Vandenabeele, docteur en sociologie, vient de publier un brillant article : Privilégier la qualité : comment le vieillissement transforme la sexualité des hommes homosexuels. Il y rappelle combien que des études montrent que les gays âgés restent globalement satisfaits de leur sexualité. Pour mener à bien sa recherche, le sociologue a interviewé 29 hommes afin de cerner l’évolution du « script sexuel ». Les entretiens évoquent l’expérience globale du vieillissement — entre résistance relative, atouts de la maturité et transformation des pratiques. Sans nier les dysfonctions éventuelles, les témoins évoquent le plaisir de prendre leur temps et distinguent clairement le plan cul du plan régulier. Le premier « s’envisage dans une satisfaction pour soi, et un anonymat total ou partiel » et reproduit un schéma codifié, inspiré du porno. Le second « suppose un engagement relationnel faible sans échange de promesses, mais l’aspect « régulier » ou plutôt « répété », parfois depuis plusieurs années, contribue à la qualité de l’interaction.» Comme c’est bien dit ! Et un bonus, extrait de l’analyse de ces entretiens : la mention de la sensualité : « ce terme, utilisé comme une évidence, est associé à la maturité, comme un ensemble de savoir-être et de savoir-faire des partenaires présents pendant l’interaction sexuelle. » Bref, c’est souvent mieux : plus riche, plus tendre, nourri d’échanges. N’aurions-nous pas intégré des schémas qui nous limitent ?

« Restaurer l’estime érotique » : vieillir sans perdre le désir

Ce travail de recherche le montre : beaucoup d’hommes gays ont intégré l’idée que l’âge serait un frein aux rencontres. Vous avez dit dévalorisation ? Pour le sexologue Patrick Papazian, « c’est une perte d’estime de soi, donc du minimum de confiance en soi nécessaire pour rencontrer des partenaires. À force de baigner dans une société âgiste (certains diraient vieillophobe), ce qui est particulièrement vrai dans le milieu gay, on fait sien cet âgisme, on est persuadé que son corps avançant en âge n’est plus désirable ou n’est plus masculin, c’est-à-dire « viril, performant» » Les conséquences peuvent être lourdes : « souffrance, dévalorisation et repli sur soi, consommation de chems en perdant le contrôle, par exemple, parce qu’on ne supporte pas son corps, l’idée de draguer, le travail de la rencontre et qu’une consommation de substances augmente les chances d’avoir des partenaires sexuels dans des plans perchés moins « regardants » sur l’âge des partenaires. C’est une réalité qui m’est racontée par de nombreux patients qui ont perdu toute estime pour eux-mêmes du fait de leur âge. » Et alors, que faire, docteur ? « Il faut à la fois travailler sur ces représentations âgistes pour les déconstruire petit à petit, et ne pas céder à la tentation du plateau-télé chez soi pour ne prendre aucun risque d’être rejeté. Assumer que les rejets peuvent être plus fréquents mais que des rencontres excitantes et satisfaisantes sont possibles. Bref, il faut restaurer l’estime érotique ! »

Désir, âge et confiance : et si c’était mieux maintenant ?

C’est le constat que fait Patrick Papazian en consultation : « la fréquence, le nombre de partenaires peuvent par exemple baisser avec l’âge, mais la satisfaction augmenter. Beaucoup de mes patients vont revoir leurs scripts sexuels, déconstruire leurs scripts basés sur la performance, l’orgasme à tout prix, pour aller vers davantage de sensualité par exemple. Moins de rencontres peut-être, mais plus de sens… dans tous les sens du terme ! » Il s’agit de résister au courant dominant, de ne pas céder à la peur du rejet liée à l’âge. Une étude italienne publiée en 2003 a d’ailleurs mis en avant l’importance du maintien des liens sociaux : ceux-ci observent une sexualité plus épanouie chez les gays que les hétérosexuels. « Maintenir une sociabilité, en se forçant à sortir de chez soi et par des activités associatives par exemple, est une bonne manière de mettre toutes les chances de son côté pour être satisfait de sa sexualité pour un gay qui avance en âge. » Et la dévalorisation n’est pas systématique, loin de là. « Les bears valorisent la barbe, les poils blancs ou non, le ventre un peu arrondi. Les « daddies » sont parfois convoités par les plus jeunes et jugés bien plus attirants que des hommes jeunes. » Le détail qui fait sourire ? « N’oublions pas que le délai jusqu’à l’éjaculation augmente avec l’âge, donc l’endurance est du côté des cheveux gris ou perdus ! » assure le sexologue. « Sans parler d’une forme d’assurance qu’on peut gagner avec l’âge, en assumant pleinement qui on est et ce à quoi on ressemble, qui peut être très séduisante. »

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Vivre avec le VIH, deux brochures à découvrir

Vivre avec le souvenir des années 90 n’est pas simple. Rester alerte face aux exigences d’un suivi médical parfois chronophage ne l’est pas non plus. L’association Actions Traitements propose deux brochures qui s’adressent à toustes et que l’on peut télécharger gratuitement.

La première, Bien vihvivre après 50 ans, la santé du corps et ses thérapeutiques, propose sur 60 pages un tour d’horizon complet, pour comprendre les règles à adopter.

La seconde, Bien vihvivre après 50 ans, vie affective et sexuelle, parle réduction des risques, drague, hormones, orgasme, sur 30 pages. Comment résister ?

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L’andropause, un tabou ?

Nier les effets du temps sur le corps masculin reste une habitude culturelle. Sans être l’ équivalent de la ménopause, le phénomène appelé DALA (déficit androgénique lié à l’âge) concernerait de 2 à 6% des hommes après 50 ans, et jusqu’à 50% après 70 ans. Le taux de testostérone, lui, baisse d’environ 1% par an dès 30 ans. 

Un conseil, docteur Papazian ?
« Il ne faut pas hésiter à consulter si l’on s’interroge sur un déficit androgénique, la réponse est généralement assez simple à apporter avec un interrogatoire médical et une prise de sang. Les signes qui doivent alerter : fatigue, perte d’énergie, baisse de moral, du désir, de l’excitation, de l’érection, mais aussi usage de substances pour « tenir », tendance à s’isoler, et des signes plus objectifs comme perte de la pilosité et prise de poids inexpliquée. » 

Quand consulter ? 
« Si certains de ces symptômes durent depuis au moins 2/3 mois, allez demander à votre médecin si la testostérone n’est pas en berne, car des solutions de substitution discutées individuellement peuvent changer la vie. Beaucoup de difficultés dans la vie intime sont liées à notre psychisme quand on avance en âge, toutefois l’organique, notamment les androgènes, peuvent aussi être incriminés quand ils sont insuffisants. »

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Sources :
https://shs.cairn.info/revue-gerontologie-et-societe-2025-2-page-243
« I’m too old for that »: The Role of Ageism and Sexual Dysfunctional Beliefs in Sexual Health in a Sample of Heterosexual and LGB Older Adults: A Pilot Study, https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/36832993/

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