Œillade appuyée à l'éternel Goncourt, le prix littéraire lesbien Gouincourt sera décerné le 7 novembre au Point Éphémère. Parmi les membres du jury : Virginie Despentes, Anna Mouglalis et Élisabeth Lebovici. On a rencontré les fondateurices de cette distinction unique en son genre en France, Lauriane Nicol et Alex Lachkar.
À chaque rentrée littéraire, immuablement, le Prix Goncourt fait et défait les livres et les carrières d'écrivain.e.s. L'illustre prix littéraire français est connu – et critiqué à ce titre – pour sa tendance à rester dans sa zone de confort – ce sont toujours les mêmes grandes maisons d'édition prestigieuses qui font partie de la sélection. Mais aussi pour son manque d'inclusivité – ne serait-ce qu'en termes d'égalité hommes-femmes, sur 121 lauréat.e.s, on dénombre seulement treize autrices.
De là à s'interroger sur la place accordée aux auteur.ices écrivant sur le lesbianisme, il n'y a qu'un pas – que franchit résolument le Gouincourt, nouveau prix consacré à la littérature lesbienne qui sera décerné le 7 novembre à Paris, trois jours après ledit Goncourt. L'idée et le jeu de mots reviennent à Lauriane Nicol, fondatrice du média en ligne communautaire Lesbien raisonnable, assorti d'un compte Instagram très visité. Grande lectrice, elle dit avoir « une excitation proche de 2 sur 20 » lorsqu'est dévoilée chaque année la première sélection de livres en lice pour le Goncourt, tant le roman lesbien est un impensé de l'institution et du paysage des prix littéraires français. « Il existe un Prix du roman gay mais jusqu'ici il n'y avait pas de prix spécifique à la littérature lesbienne, alors qu'il s'agit d'un domaine foisonnant. Il y a énormément de choses qui se passent, plein d'auteurices et de maisons d'édition qui font bouger les lignes. C'est peut-être là que la littérature la plus intéressante se trouve aujourd'hui », avance Lauriane Nicol.
Pour lancer le Gouincourt, elle s'est épaulée du spécialiste de la littérature lesbienne contemporaine Alex Lachkar, chercheur à l’université de Vienne, en Autriche, qui partage le même constat : « c'est un running gag, chaque année je suis déçu de la sélection du Goncourt. Je compte le nombre d'autrices lesbiennes, de personnes racisées. Et tous les ans c'est proche de zéro. Sauf cette année où il y a plus de personnes racisées que d'habitude. »
Les deux activistes ont réuni un jury de haute volée pour la première édition de leur prix : l'iconique Virginie Despentes, elle-même passée par l'académie Goncourt, la comédienne Anna Mouglalis – qui donnait corps récemment au livre d'Ovidie La chair est triste, hélas sur les planches du Théâtre de l'Atelier – et l'historienne de l'art et militante Élisabeth Lebovici en sont les grands noms. Avec elles les auteurices Lauren Delphe et Al Baylac, les poétesses Meryem Alqamar et Joëlle Sambi, l'éditrice Mélie Chen de chez Bayard, Oliva Sanchez de la librairie féministe Violette and Co, et la bookstagrammeuse Lou Edin, alias @booksondykes. « On a cherché des personnes qui ont un regard très acéré, précis, exigeant sur les textes, et des points de vue différents, qui peuvent bien se compléter », explique Alex Lachkar.
Même avec les meilleures intentions, on peut tomber facilement dans l'écueil. En voulant user des mêmes critères que l'illustre prix littéraire, à savoir ne sélectionner que des livres parus à la rentrée, Lauriane et Alex ont bien failli en reproduire les mêmes mécanismes, bien malgré elleux. Leur première sélection de romans s'est faite retoquée par le jury. « Notre liste était très blanche, très cis, et donc reproduisait des schémas d'oppression que nous combattons en tant que personnes gouines et queer », explique Alex.
Parmi les 14 livres en lice, tous parus au cours de l'année, on trouve par exemple Entre ici et Avant il y a la mer, premier roman de Nelly Slim, le très punk Fatal*e ou l'impossible phantasme, de Gorge Bataille, des romans d'autrices établies comme Tovangaard de Céline Minard, Le Parlement de l'eau de Wendy Delorme ou encore le deuxième roman de Fatima Daas, Jouer le jeu. Un choix aussi littéraire que militant : « elle est désormais très connue grâce à La Petite Dernière, mais c'est quand même très important pour nous d'avoir son nouveau roman dans la sélection. La réception du premier a été tellement violente, raciste, islamophobe et lesbophobe qu'on veut être là, les gouines et les queers, pour le lire et le porter avec elle », explique Alex.
Au-delà de la remise du prix et des retombées pour les auteurices en lice, Lauriane et Alex espèrent mettre un coup de projecteur sur la littérature lesbienne et encourager librairies et bibliothèques à commander les livres de la sélection. Leur projet est pour l'instant soutenu par la LIG – Lesbiennes d'intérêt général et Label Gouine*. Alex et Lauriane comptent bien en faire un événement annuel. « J'ai beaucoup d'ambition, j'espère que cela va pouvoir se développer », confie Lauriane, qui imagine déjà « un Gouincourt du roman graphique, un Gouincourt du roman étranger, un Gouincourt de la jeunesse ». Affaire à suivre !
Proclamation du Prix Gouincourt, 7 novembre 2025, 18h-3h, Point Éphémère, gratuit sur inscription.
Cérémonie suivie d'une fête
pointephemere.org/event/proclamation-du-prix-gouincourt
Crédit photo : Aude Boyer
