Ce mois-ci, Strobo dresse le portrait d'Órion Lalli, un artiste gay brésilien réfugié en France après avoir subi des persécutions liées à son œuvre artistique.

Une petite tente, installée dans un coin de la Cité fertile de Pantin, lors du Positif Festival, au printemps dernier. À côté se tient un garçon souriant. Il distribue des tracts et invite à entrer pour découvrir son «outlet sida». A l’intérieur, il y vend (pour de vrai ou pour de faux, on ne sait pas vraiment) des produits du quotidien, parfois «rebrandés» comme ce «lait entier UHT de pédé avec le VIH». Il commence alors à nous raconter son parcours, indissociable de son œuvre artistique : celui d’un homme gay brésilien, réfugié politique en France, séropositif. Il s’appelle Órion Lalli.
Puisqu’il faut laisser la place aux autres visiteurs du festival, on se promet mentalement qu’on le reverra pour en savoir davantage. Rendez-vous est finalement pris en ce début octobre. Órion nous accueille dans son appartement/galerie en banlieue parisienne. Un 33 tours de Maria Bethânia pour l’ambiance et l’artiste déroule alors le fil d’une vie faite de ruptures, de résistance et de création.
La violence du psy
Órion Lalli est né il y a 30 ans à Campinas, dans l'État de São Paulo. Du côté de son père, la famille possède la fibre artistique. Sa grand-mère notamment est pianiste et a publié un livre. Enfant, Órion est assez efféminé. On l’envoie voir un psy très tôt. «Je me souviens de la violence d’une psychologue, raconte-t-il. Un jour j’ai fait un dessin, un arbre, et j’ai rajouté un enfant qui fait de la balançoire. Et elle me dit « Ah mais ça, pour toi, c'est pas comme un pénis? » Comme ça, direct. Et moi je dis « Non. Ou peut-être. Mais… » Je ne voyais pas le rapport.» Il commence à s’assumer en tant que gay vers 14 ou 15 ans. Lorsqu’il fait son coming out, son père, qui fait partie de l’Église messianique mondiale, lui sort toutes les copies d’écran de ses conversations ou de ses recherches sur l’ordinateur de la famille. Et lui demande brutalement «Est-ce que tu donnes ton cul ? ». On lui fait rencontrer des ministres de l’Église pour lui faire entendre raison. Peine perdue.
Départ pour Rio
Toutefois, l’orientation sexuelle n’est pas le seul sujet de discorde au sein de la famille. Le père d’Órion s’oppose à ce qu’il étudie le théâtre, et dit à son fils que s’il persiste, il faudra «passer sur son cadavre». C’est la rupture. Órion quitte le domicile et part dans une autre ville de l'État. Puis, à 19 ans, il quitte São Paulo pour Rio de Janeiro avec un homme un peu plus âgé. Ce dernier ne s’assume pas comme gay. L’histoire ne dure pas. La vie artistique, elle, débute: « J'ai repris l'université, j'ai créé ma compagnie de théâtre, j'ai fait des spectacles par-ci par-là en Amérique Latine, j'ai voyagé avec un spectacle itinérant, que j'ai présenté dans les petites villes. Mon idée c’était d’aller dans les espaces où n'y a pas de théâtre.» En 2017, il découvre qu’il est séropositif au VIH, au moment où l’extrême droite commence à monter sérieusement en puissance au Brésil (Jair Bolsonaro devient président en 2019). Son vécu d’homme séropositif au sein d’une société hostile et discriminante lui inspire un projet artistique, Em.coitros (jeu de mots entre «rencontre» et «coït») où il explore notamment l’hypocrisie de la religion. Il se met en scène, lui-même et d’autres mecs, pour des photos parfois sexuellement explicites, qu’il mêle à d’autres images, parfois sacrées.
Un chien mort sur le pas de la porte
Il expose ce projet là dans un musée municipal à Rio, et c’est là que les ennuis commencent. Deux députés d’extrême droite viennent au musée et font un scandale. Un député de l’État dépose plainte contre lui pour diffamation religieuse. Il se voit contraint de retirer son exposition pour ne pas nuire aux autres artistes exposés. On le menace dans la rue. Un jour, en rentrant chez lui, il découvre un chien mort sur le pas de la porte. Il n’a plus le choix, il doit partir. On lui conseille alors de mettre «un océan de distance» entre le Brésil et sa future destination. Pourquoi la France ? Par défaut, répond-il, avant de préciser: « On est en 2021. C’est l ’époque du Covid et la France est le premier pays qui s’est ouvert pour le Brésil.»
Il obtient son statut de réfugié au bout de quelques mois, mais le processus lui a laissé un goût amer: « C’était horrible. Il y a beaucoup de démarches administratives, toujours dans des lieux hyper précaires. On est quasiment traités comme des animaux. Tu te retrouves dans une file d’attente à 4h du matin, en décembre, dans le froid. Et moi je n’étais pas habitué au froid. Et je n’avais pas de vêtements adaptés. Je suis venu ici avec juste une valise. Donc j’avais froid, j’avais faim.»

Marseille, puis Paris
Il s’installe à Marseille. La vie d’artiste reprend. Le Mucem donne à voir une performance-création, Au bout du monde en auto-stop, pendant laquelle il déambule dans les espaces du Mucem au sein d’un avion en carton, en clin d'œil à celui que lui avait fait son père lorsqu’il était enfant. Au cours de la performance il se déleste peu à peu d’objets du quotidien placés dans des sacs en plastique scellés sous vide. Cette performance est produite par l’association qui le suit, l’Atelier des artistes en exil. Il finit par s’éloigner de cette structure, choqué comme d’autres par les pratiques de l’association, notamment la reprise dans une pièce des parcours des artistes, uniquement interprétés par des comédien.nes blancs et blanches. Comme toujours, Órion transforme sa douleur et sa colère en art, il en tire un spectaclemanifeste, Revenir n’est pas un verbe.
Puis il monte à Paris pour poursuivre sa carrière d’artiste, qu’il mène en faisant quelques boulots alimentaires. A travers ses différentes œuvres, il questionne sans cesse l’intime, le rapport au corps, l’exil. Au point de transformer son appartement en galerie pour mettre en valeur ses œuvres et celles des autres. Aujourd’hui, les rapports se sont apaisés avec sa famille. Órion nous montre le dessin que lui a envoyé son père, dans lequel ce dernier a dessiné toute la famille, avec Órion, l’aîné en premier. Pour l’instant, l’artiste ne peut pas retourner au Brésil. Il ne sait pas à vrai dire s’il le souhaite : « Ça me fait peur de penser à cette question de rentrer ou pas. Mais aujourd’hui, j’aime bien comme je suis et comment j’ai appris à être en France. C’est ce qui est le plus difficile à comprendre. Tu es qui, toi, dans ce nouveau pays, avec cette langue ? Je ne savais pas comment être ici. Parce qu’avec la langue, notamment, tu es considéré comme maladroit. C'était fatiguant. Mais aujourd'hui, j'ai trouvé ma place, je me suis rencontré moi, c'est ça qui est intéressant.»
Photos : Xavier Héraud

