Jérémy Clamy-Edroux dit au revoir au rugby pro

Xavier Héraud

A 34 ans, l’ex pilier droit a remisé les crampons et aborde sereinement la deuxième phase de sa vie professionnelle. Mais, lui qui reste le seul rugbyman français pro à avoir fait son coming out, entend continuer à se battre contre les discriminations. 

Jérémy-Clamy-Edroux a mis fin à sa carrière de rugbyman professionnel. Après quelques années à Bordeaux, il est rentré à Rouen où il travaille désormais comme ingénieur commercial. Nous l’avons rencontré alors qu’il venait soutenir la future vente de chaussettes rainbow des Coqs Festifs. 

Quel regard jetez-vous sur votre carrière maintenant qu'elle est finie? 

J'ai deux regards. Un regard un peu critique parce que j’ai un côté laxiste sur les bords. Je me dis qu'en étant un peu moins fainéant et un peu moins épicurien, j'aurais peut-être pu taper à la porte du top 14. Mais en même temps, je me dis aussi, tu as bien vécu, tu as bien profité, tu as quand même eu la chance de progresser avec un club où tu as commencé le rugby. J'ai fait l'école de rugby à Rouen. Après, je suis parti en région parisienne à Massy et au Racing. Je suis revenu à Rouen, on a fait plusieurs montées, on a fini en Pro D2. Avec ce club je n'ai fait que monter, je ne suis pas redescendu quand ils sont descendus. Donc je suis fier de moi. Et puis le fait d'avoir contribué à libérer la parole, en 2021, avec le documentaire Faut qu’on parle, m'a ouvert aussi beaucoup de portes. Maintenant, je vais continuer à diffuser un message positif d'espoir et d'amour. 

Les choses ont-elles changé depuis votre coming out ? 

C'est un peu le madison :  ça avance, ça recule. Et ça dépend des régions. J’ai été le premier à en parler en tant que professionnel en activité, il y en a d'autres. Il y en avait avant moi. Ceux-là n'ont pas eu la chance ou l’occasion d’en parler. Je l'ai fait parce qu'on est venu me voir et qu’on était six dans le documentaire, donc il y avait la force du collectif. Après j'ai continué à en parler parce que je me sentais prêt, et puis surtout j'avais fait le plus dur auprès de mon père. C'était surtout sa réaction qui me faisait peur, plus que le jugement du monde du rugby. J’espère que ça va continuer, que ça va changer qu'il y en aura d'autres. J'ai fait le plus difficile, on va dire, j'ai ouvert la porte. Et cette année j'ai signé un contrat avec la Société Générale « Par amour du rugby » pour continuer de diffuser un message qui a été diffusé le jour de la finale du top 14. C'était le jour de la pride à Paris. Ils avaient créé le rang des fiertés, avec 14 sièges, provenant de chaque club du Top 14, ça rappelait les couleurs du rainbow flag. Et avant le match, à la mi-temps et à la fin du match, une phrase d’espoir et d’amour était diffusée.  

Les grandes instances du rugby continuent à travailler sur ces sujets d'inclusion et de diversité, que ce soit le racisme, la grossophobie, l'homophobie et la transphobie, l’handiphobie. Ça avance  doucement. Pour certains, il n'y a pas de sujet. Pour d'autres, il n’y a pas lieu d'en parler au sport. Mais le sport c'est un segment de la société, quand la société va mal, le sport va mal, donc il faut qu'on arrive à éduquer la société et surtout il faut qu'on arrive à éduquer les acteurs du sport. 

Ces dernières années avez-vous échangé avec des joueurs qui hésitent à faire leur coming out ? 

J’en ai discuté avec des joueurs, oui, mais pas des joueurs pros. Les joueurs pro m’ont surtout félicité pour ma prise de parole et pour mon courage. Mais non, personne n'est venu me voir dans la foulée. Après, je ne vais outer personne, je sais que certains un jour  parleront, ou peut-être pas. C'est dommage. 

Dans plusieurs interviews, vous avez dit que vous n’aviez pas eu de modèle  de joueur de rugby gay noir en grandissant. Avez-vous le sentiment d’être devenu vous-même un modèle ? 

Je le suis devenu oui et c'est aussi le but d'être un role model. Je suis content parce que je donne sûrement un peu d'espoir, de visibilité à des petits jeunes banlieusards, issus de la diversité, des minorités, des mecs en surpoids, des mecs qui ont des parents immigrés, etc. Certains vont peut-être se reconnaître en moi, d'autres pas du tout. Mais j’essaie au au moins faire comprendre qu'on peut être gay, on peut être sportif, on peut être professionnel, on peut être comme ci ou comme ça, mais en fait on est bien, on est beau, ça se passe bien et on n'est pas forcément le cliché de l’homosexualité qu’on pouvait avoir dans les années 90 ou 2000. Et on n'est pas malades non plus. C'est pour ça que je continue à faire des interventions dans les médias et à faire des conférences ou des interventions dans les écoles, dans les entreprises, simplement pour stopper les discriminations. Dans le sens où un couple hétéro, quand il se tient la main dans la rue ou se fait un bisou aura peu de chances de se faire agresser. Pour les couples gays, malheureusement ça arrive tous les jours.

Et c'est dommage parce qu'au final ce n'est que de l’amour. Mais le truc qui me tue encore plus, c'est pour ça que je continue à prendre la parole, c’est quand je pense au petit Lucas (Lire Séverine Vermard, mère de Lucas : « aider d’autres personnes n’est pas un soulagement, mais c’est mon devoir »), qui s’est suicidé dans les Vosges, il y a deux ans. A cause du harcèlement, à cause des discriminations qu'il subissait au quotidien, il a préféré en terminer. Et moi je dis non. On est qui pour retirer la vie d'une personne parce qu'elle est différente ? Au contraire, notre différence, notre singularité, elle est belle, donc il ne faut pas qu'on la cache, il faut juste que les autres composent avec nous, parce qu'en fait on ne doit pas être toléré.  Il faut juste qu'on apprenne à vivre ensemble. Et en vivant ensemble, on sera plus beaux, et on apprendra de l'autre et on sera moins cons.

Photos : Xavier Héraud

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