Entre nostalgie, désir d’émancipation et brutalité du destin, le duo anglais signe une des plus belles méditations pop sur le sida
1990, après quatre albums de pur Hi-NRG, ce disco gay et synthétique né à la fin des années 1970, les Pet Shop Boys publient Behaviour, un disque aux rythmes moins dansants porté par des mélodies poignantes. Sa pochette immaculée, proche de l’objet d’art, va stimuler, plus que de raison, la critique, qui va enfin considérer les PSB comme un groupe majeur. On le compare même au White Album des Beatles, autre rupture majeure dans l’univers sonore de son époque. Behaviour est un immense disque, sans doute le plus abouti de la discographie longue comme le bras du duo le plus gay que l’Angleterre, et la pop tout entière, ait produit. L’histoire raconte que Neil Tennant et Chris Lowe, armés d’une dizaine de démos, ne savaient pas vraiment quelle direction donner à ce nouvel opus. Fatigués des synthés et autres machines digitales, ils font alors appel à Harold Faltermeyer, producteur allemand et roi de l’analogique, pour offrir à Behaviour cette matière sonore brute et raffinée à la fois, dont le charme fascine encore plus de trente ans après. Dès l’ouverture, une chanson s’impose comme un classique absolu : Being boring. Tout en installant le ton introspectif et nostalgique de l’album, elle reste l’un des plus beaux titres jamais écrits par les Pet Shop Boys, le genre de morceau qui vous file instantanément des frissons. Inspiré d’une citation de Zelda Fitzgerald - « She refused to be bored chiefly because she wasn’t boring » (« Elle refusait de s’ennuyer, tout simplement parce qu’elle ne l’était pas ») - le titre plante le décor : une méditation mélancolique sur le temps qui passe, la jeunesse, l’amitié, la perte et la mémoire. Neil Tennant y évoque son adolescence dans le nord de l’Angleterre, les années 70, l’insouciance, les fêtes, les rêves d’ailleurs, une époque où tout semblait possible. Mais très vite, la légèreté laisse place à la gravité, au fil du texte, on comprend que plusieurs des amis évoqués ne sont plus là. Certains, on le devine, emportés par le sida. Being boring devient alors une élégie discrète à une génération fauchée trop tôt. En filigrane, on y croise les fantômes de Robert Mapplethorpe, qui a immortalisé le duo dans plusieurs séries photo, de Keith Haring, croisé sans doute dans les clubs new-yorkais du début des années 80, et surtout celui de Chris Dowell, ami d’enfance et camarade de lycée de Tennant, mort du sida à la fin des années 80. Tennant l’a souvent évoqué comme la principale source d’inspiration du morceau, tous deux avaient grandi à Newcastle, partageant la même curiosité intellectuelle et la même envie de fuir vers Londres pour vivre librement et différemment.
Being boring retrace ce passage brutal de l’adolescence rêvée à la confrontation avec la perte. Le morceau, bouleversant, doit aussi beaucoup à son clip, sans doute le plus beau du duo, signé Bruce Weber. À l’époque, le photographe américain, maître du noir et blanc et de la jeunesse Wasp sublimée, filme comme on feuillette un album photo, une post-adolescence ivre de vie, de beauté et de désirs, happée soudain par la réalité du sida. Curieusement, alors que Neil Tennant n’a pas encore fait son coming out (il attendra 1994), Being Boring est peut-être le titre le plus subtilement gay des Pet Shop Boys : l’histoire d’adolescents pas comme les autres, rêvant de liberté et d’émancipation à Londres, avant d’être rattrapés, brutalement, par la grande faucheuse. Une des plus belles chansons jamais écrites sur les ravages du sida et l’un des sommets de la pop mélancolique des années 90.
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