Coupes budgétaires, prime Ségur, désengagement public… Les associations engagées contre le VIH traversent une crise profonde depuis plusieurs années. Elles tentent aujourd’hui de réagir. Mais les dégâts sont d'ores et déjà présents.
Les associations de lutte contre le VIH vont mal — et le font savoir. Le 10 juillet dernier, l’association Actions Traitements a ouvert le bal avec un communiqué pour « tirer la sonnette d’alarme » sur la question des financements publics. Puis, à l’initiative de Sidaction, une tribune signée par 93 associations a été publiée dans L’Humanité en septembre, avec la même tonalité et le même message : couper les financements aux associations de lutte contre le VIH, c’est risquer une reprise de l’épidémie, au moment où on a enfin tous les outils pour la maîtriser.
Un désengagement amorcé depuis plusieurs années
Alors, que se passe-t-il ? D’abord, des coupes budgétaires massives. En 2025, la Direction générale de la santé (DGS) a annoncé une baisse d’environ 20 % de ses financements. L’impact a été violent pour de nombreuses associations, qui comptent sur la DGS pour financer certains de leurs projets. A titre d’exemple, pour Act Up-Paris, le financement DGS représentait 30 000 € en 2024, permettant de financer la campagne de prévention « Jouir = Vivre » et un travail de modernisation des signes de prévention en langue des signes française, en partenariat avec Les Mains Paillettes.
En réalité, le désengagement de l’État sur le VIH ne date pas d’hier. Marc-Antoine Bartoli, d'Act Up-Paris, note un tournant depuis le Covid. Et la tendance s’est accélérée ces derniers mois. Florence Thune, directrice de Sidaction, confirme : « depuis plusieurs années, on assiste à une remise en cause des financements spécifiquement dédiés au VIH. » Selon elle, une dynamique se dessine : « Avec la création des agences régionales de santé (ARS) en 2010, tout ce qui relève de l'accompagnement social des personnes vivant avec le VIH a été progressivement mis de côté par certaines ARS. » Or, rappelle-t-elle, « c’est justement ce que font beaucoup d’associations : elles vont au-delà du médical et accompagnent des personnes souvent en grande précarité et très isolées. »
Autre problème : des retards de paiement récurrents, qui fragilisent la trésorerie des structures. Florence Thune pointe le cas des ARS : « souvent, les décisions de financement arrivent tard dans l'année. Les associations doivent avancer les fonds : payer les salaires, mener les activités dès le 1er janvier, en espérant une réponse positive. Mais cette réponse n’arrive parfois que des mois plus tard. »
Quand on peut bénéficier de financements… car Marc Dixneuf, directeur général de Aides, relève que « le désengagement est assez variable selon les régions ». Il illustre : « autant on est globalement soutenus en Île-de-France, autant, par exemple, en Martinique… Si on regarde les données de la déclaration obligatoire, les territoires les plus touchés sont la Guyane, les Antilles et l’Île-de-France. C’est sidérant. Là-bas, ce n’est même plus un désengagement : c’est non-engagement. »

La prime Ségur, « cerise sur le gâteau »…empoisonnée
À tout cela s’ajoute ce que Florence Thune qualifie de « cerise sur le gâteau » : la prime Ségur. Mise en place en 2020, elle octroyait 183 € nets mensuels aux soignant·es du public. Par un arrêté du 6 août 2024, elle a été étendue au secteur social et médico-social privé — y compris aux associations, bien que les contours restent flous. Concrètement, la prime coûte 248 € brut par mois et par salarié·e à temps plein, hors charges patronales, parfois rétroactivement au 1er janvier 2024. Sans compensation de l’État, les associations se retrouvent en grande difficulté. Florence Thune précise : « parmi les associations que nous soutenons, cela représente environ 400 postes et un coût total de 1,3 million d’euros. Seules six peuvent l’assumer. Les autres non. Si elles appliquent la loi, elles devront licencier ou arrêter des activités. »
Déjà des conséquences très concrètes
Les premiers dégâts sont visibles. À Bordeaux, l’association GAPS, créée en 1988, a cessé ses activités. Son principal financeur, l’ARS, estimait qu’elle se substituait au droit commun et aux missions de l’hôpital. Or, selon sa directrice, GAPS accompagnait des personnes qui ne se rendaient plus à l’hôpital, faute de s’y sentir en sécurité. L’association suivait 400 personnes.

Aides, qui tentait depuis plusieurs années de réduire la voilure progressivement, a dû accélérer. Le 9 octobre, l’association a annoncé un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) concernant 61 salarié·es. Marc Dixneuf détaille : « 600 000 € de baisse de la DGS. 600 000 € liés à la modification de tarification des actes dans les centres de santé comme les Spot. Et 1,2 million d’euros pour la prime Ségur. » « On n’a désormais plus le choix, il faut passer par une restructuration », conclue le directeur général. En plus des licenciements, l’association va fusionner aussi plusieurs antennes. Le Spot Beaumarchais, ouvert en 2016 à Paris, va devoir déménager et cohabiter avec Aides Paris Centre. « La réorganisation des implantations en Île-de-France d’ici 2027 représente 700 000 € d’économies. » Le soutien financier de l’association à l’international sera aussi impacté : Aides doit aussi réduire sa participation à Coalition+, une union d'ONGs engagées à l'international contre le VIH.
Quelles solutions ?
Dans ce contexte, Sidaction occupe une place particulière, en tant que financeur majeur du secteur. Chaque année, l’association distribue une enveloppe d’environ 2,6 millions aux associations. Florence Thune indique que l’association n’a pas les moyens de compenser les baisses publiques, mais travaille à limiter l’impact pour les structures.
« Dès janvier, nous versons les financements, ce qui permet aux associations de disposer immédiatement de trésorerie. Cela ne compense évidemment pas les montants attendus par les ARS, mais évite que les activités soient bloquées. » Depuis cette année, Sidaction finance désormais sur deux ans au lieu d’un, afin de donner davantage de visibilité aux structures. Les associations peuvent donc compter sur Sidaction, du moins pour l’instant, précise Florence Thune : « jusqu’en 2026, nous n’avons pas réduit nos enveloppes de financement. Nous sommes engagés à les maintenir au moins jusqu’en 2026-2027. Dans un contexte où tous les budgets baissent, nous arrivons encore à le faire, mais jusqu’à quand ? »
La solution peut-elle venir du privé ? Chez Aides, la moitié du budget provient de mécénat et de dons. Inutile d’espérer un miracle de ce côté-là, prévient Marc Dixneuf : « on a moins de donateurs, les collectes stagnent. Les entreprises restent présentes, mais il est difficile d’élargir la base. Les entreprises sont de plus en plus sollicitées. Pas d’effondrement, mais pas d’élan. »
Pour amoindrir l’impact de cette situation dramatique Marc-Antoine Bartoli plaide pour une meilleure coordination entre acteurs : « l’idée serait que Sidaction, en tant que bailleur important, organise des temps d’échanges réguliers pour partager besoins et attentes. Aujourd’hui, on a le sentiment de travailler chacun dans notre coin. On fait avec des bouts de ficelle — mais les bouts de ficelle, ça use. »
Une santé de plus en plus politisée
Le climat politique ne favorise pas l’optimisme. La santé devient un terrain de confrontation idéologique. Act Up-Paris ne sollicite plus de financement auprès de la Région Île-de-France, qui a fait savoir que ses critiques déplaisaient, explique Marc-Antoine Bartoli. « Nous avions été trop critiques sur la remise en cause de la réduction tarifaire pour les bénéficiaires de l’Aide médicale d’Etat (AME). Depuis, plus aucun financement. C’est immature et cela révèle une utilisation très discutable de l’argent public », dénonce un militant.
Même constat pour Sidaction. Florence Thune observe que certaines collectivités locales envoient désormais des signaux explicites sur le fait qu’accompagner des personnes sans-papiers sous OQTF ne serait pas acceptable. Or les personnes migrantes, en particulier venant d’Afrique Sub-Saharienne, forment l’une des « populations-clés » où l’épidémie continue à se développer. Autre source d’inquiétude : le Contrat d’engagement républicain, déjà utilisé pour couper les vivres à certaines associations jugées « non alignées » politiquement, ajoute Florence Thune. « En Auvergne-Rhône-Alpes, sous Laurent Wauquiez, plusieurs associations — pas forcément liées au VIH — ont perdu leurs subventions pour des raisons manifestement idéologiques. »
Diluer le VIH dans la santé sexuelle : un risque réel
À côté de la crise financière, un autre phénomène alimente l’inquiétude : le VIH/Sida n’est plus considéré comme une priorité. Un terme revient beaucoup chez les acteurs associatifs : la « dilution » du VIH dans la santé sexuelle. Les politiques publiques tendent désormais à intégrer le VIH dans un ensemble plus large, celui de la santé sexuelle globale. Une évolution emblématique : les Corevih, ces structures qui permettent de coordonner et appuyer la lutte contre le VIH au niveau local, sont ainsi devenus les Comités de coordination régionale de la santé sexuelle (CoReSS) .
L’idée pourrait sembler positive, mais le risque est clair : voir les financements spécifiques au VIH redistribués ailleurs. Marc-Antoine Bartoli alerte : «si diluer le VIH dans tout le reste, ça veut dire couper les financements VIH pour aller le donner aux autres, ça pose un vrai problème de forces vives », explique-t-il en rappelant que justement tout le volet accompagnement social que font les associations « chiffre énormément ». Pour Marc Dixneuf, « cela n’a pas beaucoup de sens sauf si l’on considère que le seul enjeu, c’est la prévention de la transmission du VIH ». « Or, ajoute-t-il, la prévention du VIH passe aussi par une prise en charge d’une qualité de vie durable et une bonne observance des personnes qui vivent avec le VIH. Regarder uniquement le VIH par l’entrée santé sexuelle, ça me semble un peu réducteur. »

Florence Thune insiste : « L’accompagnement global des personnes vivant avec le VIH inclut la santé sexuelle, mais aussi la santé mentale, physique, la lutte contre les discriminations… Il y a tout un ensemble d’enjeux qui dépassent l’angle santé sexuelle. »
Marc Dixneuf complète : « On parle aussi du VIH comme d’une pathologie chronique. Sauf que ce n’est pas la même chose qu’un diabète ou que de l’hypertension. Ce qu’ont montré les Etats généraux des personnes vivant avec le VIH c’est que le premier problème que rencontrent les PVVIH, c’est la discrimination dans le soin. “Santé sexuelle” ou “pathologie chronique”, ça ne règle rien. Il est là aussi le désengagement. »
Florence Thune résume : « Oui, à une approche de santé sexuelle globale… si elle continue de prendre en compte le VIH.»
2030 : l’objectif de fin de l’épidémie s’éloigne
En 2014, l’OMS a fixé l’objectif de mettre fin au sida d’ici 2030. Avec les tendances actuelles, la réponse est claire : non, l’objectif n’est plus réaliste. Marc Dixneuf : « On ferme des implantations, parfois dans des zones où l’épidémie est encore active. Moins de présence locale, c’est moins d’aller-vers, moins d’accompagnement à la PrEP, moins de dépistage. Forcément ça va jouer. »
Florence Thune ajoute : « En France, nous avons les moyens techniques de mettre fin à l’épidémie, et même avant 2030. Encore faut-il les mettre en œuvre. Or, les obstacles actuels à l’accès à la prévention, à la PrEP, au dépistage, ou au soin, ne sont pas que financiers. » Elle pense en particulier à la remise en cause des droits des personnes migrantes, qui comme évoqué plus haut, ne manquera pas de participer à une reprise de l’épidémie.
Au niveau mondial, le constat est encore plus sombre. « C’est fini depuis janvier », tranche Marc Dixneuf, en référence à la réélection de Donald Trump aux États-Unis et la baisse spectaculaire des financements VIH, en particulier dans les pays africains qui a suivi. Florence Thune renchérit : « Je vois mal comment on pourrait éviter une reprise des contaminations dans plusieurs pays. »
Mobilisation : la riposte s’organise
Face à cette situation, les associations tentent de mobiliser. Lors de l’examen du Projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) 2026, une vingtaine d’associations ont co-porté un amendement visant à corriger les inégalités de financement liées au Ségur. Elles appellent également les citoyen·nes à interpeller leurs député·es.
Dans la rue aussi, la colère s’exprime. Le 11 octobre, de nombreuses organisations ont manifesté un peu partout en France pour dire « ça ne tient plus ». Car les associations VIH ne sont pas les seules à souffrir. Selon une enquête inédite publiée en 2025 par la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS), une association sur deux voit sa situation financière se dégrader.
À la question « Avez-vous l’impression de crier dans le désert ? », Marc Dixneuf répond : « On crie avec les autres. Les mobilisations de samedi étaient inédites. Tout le monde se rassemble pour dire que ça ne tient plus. On ne crie pas dans le désert parce qu’on est nombreux — mais on n’a pas vraiment d’interlocuteur. Nous en sommes à notre neuvième ministre de la Santé depuis 2022. »
Contactée pour cette enquête, la Direction Générale de la Santé nous a renvoyé vers le cabinet du ministère de la Santé, qui n’a pas répondu à nos sollicitations. CQFD ?
Photos : Xavier Héraud. Sauf celle de Marc Dixneuf : Nina Zaghian



