Avant que les mots “représentation” ou “inclusivité” apparaissent, il y avait déjà des héros et héroïnes à part. Des personnages qui, sans le dire, parlaient à celles.eux qui se sentaient différent.es. Aujourd’hui, les jeunes LGBT+ d’hier ont 40 ou 50 ans, et redécouvrent ces séries d’enfance avec un autre regard, celui d’adultes comprenant pourquoi ces univers les ont marqués.
Petit voyage entre nostalgie et pop culture, à travers quatre séries qui ont marqué toute une génération. Princesse Saphir (Delcourt Tonkam), pionnière de l’ambiguïté, Ranma ½ (Glénat), comédie qui bouscule les codes avec humour et légèreté, X-Men Le Manga (Panini Manga), miroir des exclus, et Dragon Ball (Glénat), symbole du dépassement de soi.
Partons à la rencontre de lecteurs et lectrices, aujourd’hui adultes, qui racontent comment ces univers ont bercé leur enfance et, sans qu’ils s’en rendent compte, ont peut-être accompagné leur construction.

Princesse Saphir, pionnière du genre et de l’émancipation
Diffusée pour la première fois dans les années 70 au temps de l’ORTF, Princesse Saphir de Osamu Tezuka fut, avec Le Roi Léo, l’une des toutes premières séries japonaises à arriver en France.
Bien avant Lady Oscar, Princesse Saphir bouleversait déjà les codes. Éduquée comme un garçon pour régner, Saphir jonglait entre deux identités, deux genres. Cette héroïne forte et double, à la fois féminine et masculine, résonne aujourd’hui comme une véritable icône queer, bien avant qu’on parle d’identités qui bougent, qui ne se résument pas à une seule case. « Je ne savais pas que ça existait, des filles qui voulaient être chevaliers. Saphir, elle m’a ouvert une porte. Elle m’a montré qu’on n’était pas obligé d’être une chose ou une autre. » nous dit Philippe, 40 ans, un parisien, qui ne manquait jamais X-Men le samedi matin et qui continue de les lire.
Replonger aujourd’hui dans cette œuvre, c’est se souvenir qu’avant même qu’on parle de genre certains mangas ouvraient déjà la voie.
« Pour moi, les mangas et animés étaient une véritable échappatoire. Gamin, je me sentais étranger au monde réel, un peu à côté. Ces univers étaient des refuges peuplés de héros portés par l’honneur, le courage, l’amitié… des valeurs fortes qu’on retrouvait dans Saint Seiya, Dragon Ball ou Versailles no Bara (ndlr : Lady Oscar). Ils m’ont aidé à me construire, à comprendre ce que signifiait croire en quelque chose. » Adrien 47 ans, ce Chartrain est collectionneur de figurines et grand rêveur.
Le dessin de Osamu Tezuka est à la fois doux et expressif, plein de charme et d’énergie. L’histoire de Princesse Saphir mélange aventure, humour et émotion, avec une héroïne qui ne rentre dans aucune case. Sous ses airs de conte pour enfants, le manga parle déjà de liberté et du droit d’être soi-même.
X-Men : les héros marginaux qui parlaient déjà de nous
Quelques décennies après Princesse Saphir, X-Men est diffusé en 1992 sur France 2. Rejetés pour ce qu’ils sont, les mutants se battent pour une coexistence pacifique avec les humains et protègent même ceux qui les détestent. Difficile de ne pas y voir un parallèle avec les luttes LGBT+.
Cette adaptation a donné naissance à un manga, éditée chez Panini Comics : X-Men, le Manga par un collectif de mangaka. L’occasion de redécouvrir ces héros marginaux sous un nouveau jour, fidèle à l’esprit de la série originale.
« C’était réconfortant de voir des héros rejetés mais unis, raconte Philippe. Je ne mettais pas encore d’étiquette sur mon orientation, mais je me reconnaissais dans leur différence. »
On redécouvre un récit fort et qui nous fait écho, surtout quand l’héroïne Tornade lance : « les humains ont peur de ce qui est différent », on se reconnaît un peu. Avec X-Men, le Manga, on offre aux personnes LGBT+ des héro.ïne.s fort.es, fier.es, mais souvent rejeté.es
« Les X-Men, c’est différent : ils ont toujours représenté la différence. Le rejet des mutants, c’est une métaphore du racisme, de l’homophobie, de toutes les discriminations. Beaucoup de gens peuvent s’y reconnaître, qu’ils soient issus de minorités raciales ou sexuelles. » Jérémy, 40 ans, de Franconville, fan d’anime/mangas depuis toujours et lecteur insatiable.
Et l’ouverture d’esprit continue : dans les comics récents, X-Men Ultimate, Colossus est gay, une saga qui porte toujours un message d’inclusion.
Redécouvrir aujourd’hui X-Men, le Manga, c’est replonger dans toute l’énergie des années 90 : un dessin proche du dessin animé, des scènes d’action pleines de souffle et un vrai esprit d’équipe. L’histoire reprend les deux premières saisons de la série culte diffusée entre 1992 et 1997, avec la même force et la même émotion qu’à l’époque.
Dragon Ball : l’enfance, la force et la tendresse
Impossible d’évoquer les années 90 sans parler de Dragon Ball, la série qui a bercé des millions de fans. « Les mangas des années 80-90, c’est toute mon enfance. Tout ce qui passait au Club Dorothée, comme Les Chevaliers du Zodiaque ou Dragon Ball, c’était essentiel pour moi. » Jérémy
Si l’œuvre d’Akira Toriyama n’est pas explicitement queer, elle a pourtant joué un rôle dans la construction identitaire : des modèles de masculinité variés, ses amitiés fortes, et surtout le dépassement de soi à travers ses transformations spectaculaires
« Les mangas de combat, c’est aussi un miroir du dépassement de soi. Voir un héros s’entraîner, devenir plus fort, c’est une métaphore universelle : se battre pour atteindre ses rêves, surtout quand on est une personne LGBT+. » precise Jérémy
Les héros musclés, les fusions entre personnages, la camaraderie joyeuse mais jamais machiste… autant de codes qui parlaient, parfois inconsciemment, à des jeunes qui se cherchaient.
« J’ai grandi avec Goku », raconte François, 44 ans, de Saint-Denis, qui a grandi avec Récré A2 et le Club Dorothée et en parle encore les yeux qui brillent. « J’avais son âge quand ça a commencé. Il est devenu adulte, père, vieux même… comme moi. C’est rare de voir un héros vieillir avec toi. ». François précise : « C’est grâce aux mangas, et à Dragon Ball, que j’ai rencontré mes premiers potes gays, même si on ne se le disait pas qu’on était gay. On se retrouvait autour de ça, c’était un terrain commun. J’ai découvert l’émotion, la camaraderie, la tendresse et ces dessins animés japonais me touchaient plus qu’aucun autre. J’ai pleuré devant Saint Seiya. ».
Le Dragon Ball Le Super Art Book, à paraître début 2026, propose plus de 240 pages en couleur retraçant l’histoire de l’œuvre : des premières aventures de Sangoku et Bulma, les deux personnages principaux au début de l’œuvre, jusqu’au films Dragon Ball Super.
Laetitia 41 ans, originaire de Maisse et installée à Tokyo, pour qui Ranma ½ a été un compagnon de route enfant, nous dit « Bulma était pour moi une héroïne drôle que je prenais plaisir à voir. J’étais pas très fans des combats, mais elle, elle faisait la différence et n’avait pas peur de s’affirmer face à des durs. Un modèle ! ». Chaque illustration est un chef-d’œuvre : on y voit la précision du trait, les détails soignés et surtout l’énergie incroyable qui se dégage des personnages. L’ouvrage contient aussi une interview d’Akira Toriyama et de anecdotes sur la création des planches, ce qui en fait bien plus qu’un simple livre, mais un bel objet d’art. Adrien nous précise que « Dans les années 80, on baignait en plein cœur de la pop culture, terreau de tous les high concepts. Les héros de notre enfance sont devenus des icônes qui inspirent encore aujourd’hui. Que tu demandes à un gamin de 8 ans ou à un mec de 50, les deux te diront la même chose : Vegeta, il déchire ! »
Ranma ½ : la première métamorphose
À côté de Sangoku, un autre héros bousculait les codes : Ranma ½ de Rumiko Takahashi. Un garçon qui devient fille selon la température de l’eau, des histoires d’amour tordues mais sincères, une héroïne forte et vulnérable à la fois, tout y était. Bien avant qu’on parle de “fluidité de genre”, L’autrice rendait tout cela drôle et visible.
« Les personnages androgynes, ambigus comme Shun, Oscar, Ranma, ou encore le couple Sailor Jupiter et Mercure, ont à coup sûr préparé le terrain à une génération plus libre d’assumer qui elle est. » Adrien
Avec son humour, Ranma ½ offrait une première expérience de la transformation, des genres, tout en douceur et servie avec un dessin plein d’énergie et une galerie de personnages hauts en couleur.
« Ranma ½, c’était drôle mais perturbant, raconte François. Il changeait de sexe, il vivait des choses que je comprenais sans savoir pourquoi. C’était peut-être la première fois que je voyais le genre comme quelque chose de mouvant ».
Le livre Rumiko Takahashi Colors 1978-2024 retrace toute la carrière de Rumiko Takahashi, de ses débuts en 1978 jusqu’à aujourd’hui. Plus de 400 pages d’illustrations couleur et noir et blanc, de crayonnés et de notes d’époque, qui montrent la précision et le soin apporté à chaque dessin. Publié chez Glénat, cet artbook rassemble quarante ans de créations, de Urusei Yatsura à Inuyasha, et montre à quel point son travail a marqué plusieurs générations. Laetitia se rappel : « Les œuvres de Takahashi me transportait dans un autre univers, à la fois rigolo mais aussi touchant ». Sans forcément le dire, beaucoup de lecteur·rices ont trouvé dans ses histoires un écho à la leur. « Les créations de Rumiko Takahashi ont sans doute joué un rôle important, ajoute Jérémy. Même si je les connais moins, elles mettaient déjà en avant une autre vision de la sexualité, moins commune pour l’époque. »
De la honte à la fierté : les geeks queer d’hier et d’aujourd’hui
Être geek, otaku et queer dans les années 80 ou 90, ce n’était pas simple. Les animes étaient considérés comme des “trucs d’enfants”, et les fans étaient des marginaux. Pourtant, dans l’ombre, une communauté se formait : des ados qui trouvaient dans ces récits une manière de se sentir un peu moins seuls.
« Dragon Ball m’a permis de me faire des amis", raconte François. "On était peu à aimer ça. Et plus tard, j’ai découvert que plusieurs étaient gays comme moi. Peut-être que cette passion m’a aidé à m’accepter. »
Pour beaucoup de jeunes LGBT+ ou juste différents, ces séries étaient plus qu’un simple divertissement : un endroit où se projeter, se sentir libre, parfois même se protéger. Des mondes où être différent n’était pas un problème, mais une force.
Aujourd’hui, ces fans de la première heure sont adultes, fiers, et montrent sans gêne leurs collections. Redécouvrir Princesse Saphir, Ranma, Dragon Ball ou X-Men dans de nouvelles éditions, ce n’est pas juste par nostalgie : c’est retrouver le souvenir de héros qui nous ont, sans le dire, appris à nous accepter. François le résume simplement : « C’est important d’assumer qui on est. Sinon, on se met des barrières tout seul. Ouvrir cette porte, c’est accepter ce qu’on est. On peut être fan d’anime à 40, 50 ans sans souci, et c’est beau comme ça. »
Comme le dit si bien la dessinatrice Dorothée de Monfreid dans La 20e heure sur France Inter : « Tous les humains qui ont un jour été enfants devraient garder l’enfance en eux. C’est une colonne vertébrale, les fondations sur lesquelles tout se construit. »
Garder une âme d’enfant tout en étant bien dans sa tête, fier de ce qu’on est devenu. « Je reste passionné, même plus qu’avant, confie Jérémy. Internet m’a permis d’approfondir ma culture, et cette passion, je la garderai jusqu’à la fin. Je trouve absurde de penser qu’on doit arrêter d’aimer les mangas ou les jeux vidéo parce qu’on vieillit. »
Et à ceux qui découvrent aujourd’hui ces œuvres, Jeremy a un conseil plein de tendresse : « Je lui dirais d’y aller doucement, haha ! Certains passages ont vieilli, mais la magie reste intacte. C’est comme redécouvrir la musique des années 80 : un peu kitsch parfois, mais impossible de ne pas se laisser embarquer. ».
« Honnêtement, si aimer Dragon Ball à 48 ans est un problème, alors je préfère rester un problème », sourit Adrien. Aujourd’hui, ces fans n’ont plus besoin de se cacher. Aimer Dragon Ball, Ranma ½, Princesesse Saphir ou X-Men, c’est une façon de dire, simplement : « Je suis différent, et c’est très bien comme ça. »
Un grand merci à Laetitia, François, Adrien, Jeremy et Philippe.
Princesse Saphir d’Osamu Tezuka Ed. Delcourt Tonkam, à 29,99 €.
Disponible le 12 novembre 2025, en 2 volumes.
X-MEN, la manga de plusieurs auteurs dont les Rei Nakahara, Reiji Hagiwara ou encore Miyako Kojima chez Panini Manga à 19,99 €,
Disponible, en 13 volumes
Rumiko Takahashi Colors 1978-2024 de Rumiko Takahashi Ed. Glenat à 45 €.
Disponible le 19 novembre 2025
Dragon Ball - Le super art book d’Akira Toriyama Ed. Glenat à 39,90€
Disponible en Mars 2026
Copyrights TAKAHASHI RUMIKO GENGASHU COLORS 1978-2024 © 2024 Rumiko TAKAHASHI SHOGAKUKAN
copyright 2025 by TEZUKA production
Copyright © 2025 MARVEL. Tous droits réservés
©Bird StudioShueisha, Toei Animation





