Le tourisme LGBT parisien au point mort

Franck Desbordes

Alors que quelques offices du tourisme régionaux français et leurs équivalents européens ont bien compris tout l’intérêt économique et culturel d’attirer des visiteurs LGBTQ+ et ont engagé des dynamiques dans ce sens, à Paris, on continue d’assurer le strict minimum.

Le 20 juin dernier se tenait une énième conférence sur la thématique du tourisme LGBTQ+ parisien dans l’une des salles de la mairie du 3ème arrondissement (1). L’occasion de constater que les institutions sont au mieux bloquées, ou au pire dans les faits, pas très engagées sur le sujet. Les organisateurs et les propriétaires de lieux de vie et de fêtes LGBTQ+ diurnes et nocturnes, quant à eux, font cavaliers seuls soit par choix, soit par obligation en l’absence d’une réelle structuration qui ne pourrait exister qu’avec des financements suffisants et la puissance marketing des institutions. A la fin d’une conférence qui n’avait pas mobilisé les foules, on ne pouvait que dresser le constat d’une réelle absence de volonté politique, une absence d’organisation collective et une absence d’empowerment, chacun ayant ses propres éléments de blocage pour expliquer cette situation.
Etat des lieux

Cette conférence aura malgré tout eu l’utilité de présenter chiffres, constats, et données à jour qui permettent la réflexion, et éventuellement l’action. Comme par exemple – il est toujours plaisant de le rappeler – le fait que Paris jouit toujours d’une offre culturelle énorme, d’un patrimoine incroyable, d’une offre gastronomique riche, etc… Mais que Paris est une ville qui déçoit les touristes LGBTQ+ étrangers qui, après être venus une première fois dans la Capitale, ne veulent pas y revenir une deuxième fois ! (2). La ville arrive en 16ème position des villes européennes dans lesquelles les personnes LGBTQ+ entendent revenir  (3). 
L’Espagne vient d’ailleurs de dépasser la France en termes de destination LGBTQ+, avec des évènements très importants parfois plusieurs fois dans l’année à Madrid, Sitges, Barcelone, Maspalomas, Torremolinos, Ibiza, Valence, Benidorm. 
La Belgique aussi a réussi son pari, notamment grâce à des rendez-vous phares comme les soirées de La Démence ou sa semaine de Pride, dans un agenda ponctué de moments LGBTQ+ dont l’Office du tourisme local assure efficacement la promotion, y compris quand il s’agit d’évènements majeurs privés dans la mesure où ils génèrent un tourisme important (alors qu’à Paris sur le sujet LGBTQ+, seuls les évènements associatifs semblent pouvoir bénéficier éventuellement d’actions de promotion). Frédérick Boutry, conseiller en diversité, vie nocturne et sports chez visit.brussels (l’office du tourisme bruxellois) précisait d’ailleurs que lors d’une soirée récente de la Démence, 75% des clients étaient des touristes gays étrangers (sur 8 625 participants).
Ces deux réussites et les différentes initiatives des offices de tourisme dans les villes européennes les plus dynamiques décrivent assez bien la concurrence accrue qui se joue actuellement pour capter les touristes LGBTQ+… sans que Paris, qui perd progressivement son attractivité auprès des LGBTQ+, ne semble trop réagir pour le moment.

Paris, c’est aussi la nuit. Michel Mau, président de l’association Paris Diversité, organisatrice de cette conférence, a d’ailleurs mis l’accent sur l’offre clubbing incroyable disponible à Paris. C’est effectivement un point fort dans la scène LGBTQ+ avec une palette de soirées et de rendez-vous très inclusifs de toutes les diversités. 
Aurélien Antonini, président du syndicat Culture Nuit, rappelait quant à lui que « la nuit remonte en seconde intention de visite pour les touristes ». Il soulignait aussi la reconnaissance du monde de la nuit par le ministère de la Culture, mais remarquait aussi l’absence d’étude sectorielle et d’un agenda LGBTQ+/clubbing suffisamment complet pour être une véritable source d’information fiable pour les touristes (4). 
Rémi Calmon, directeur du SNEG & co (Syndicat National des Entreprises Gaies and co), rappelait quant à lui que les activités de nuit intègrent aussi les lieux libertins, les bars, les backrooms et saunas et qu’en France, parler de ces activités est institutionnellement impossible, ou tout au moins très compliqué, ce qui ne facilite pas la communication et le marketing (5). Il est vrai que dans les autres pays européens, les hommes gays bénéficient d’une offre fetish importante qui ponctuent fièrement les agendas dans certaines villes. A Berlin par exemple, la Folsom Europe réunit chaque année plus de 20 000 gays qui restent dans la ville entre deux et huit jours, ce qui génère d’énormes rentrées d’argent pour la ville. Mais un évènement comme Folsom Europe est tout simplement impensable en France, du fait du puritanisme de nos politiques et de nos institutions locales et nationales.
Enfin, Corinne Menegaud, Directrice générale de l’Office du Tourisme (parisjetaime.com) prenait la parole pour expliquer qu’à Paris on savait faire et même très bien faire – c’est vrai – faisant référence aux exceptionnelles cérémonies d’ouverture de Jeux Olympiques de Paris 2024, tout en expliquant que si les activités LGBTQ+ et de nuit ne sont pas assez visibles, c’est parce qu’elles sont noyées dans une offre patrimoniale (culture, musées, etc…) et énormément de temps forts, fêtes officielles, et événements professionnels. De notre côté, nous avons pu constater que la page web de parisjetaime.com (le site web promotionnel de la ville propulsé par l’office du tourisme) consacrée à la scène LGBTQ+ parisienne (6) est très pauvre, et propose hélas un agenda assez partiel, pas représentatif de la richesse de l’offre. 
Et pourtant…

« Là où il y a une volonté il y a un chemin » dit l’adage. Pour preuve, les Gay Games à Paris en 2018. Manuel Picaud, qui avait la responsabilité de l’organisation de cet événement majeur, rappelait pendant cette conférence que ces jeux avaient généré 100 000 visiteurs dont 10 000 participants aux épreuves sportives, mais aussi 66 millions d’euros d'impact économique direct (totalité des dépenses estimées : hôtels, restaurants, sorties, achats,…) pour un budget de 4,5 millions… L’investissement a vraiment été très rentable pour Paris en termes de collecte de taxes de séjour, et de TVA pour l’État. 
Et puis, comme dit plus haut, la récente cérémonie d’ouverture des JO de Paris 2024 a été très inclusive et perçue comme telle à l’international, générant en 2024 et 2025 un volume de touristes important, ce qui prouve que d’une part on sait faire, et que d’autre part, quand on y met la volonté et les moyens, l’investissement est rentable.
Pour finir sur une note d’espoir, Emilie Thiry, consultante prospective et tourisme durable, concluait sur le fait qu’il fallait malgré tout éviter le surtourisme, tenir compte dès à présent des contraintes écologiques actuelles et futures, et rappelait surtout que « Paris n’est pas seulement une ville musée » marquant ainsi la possibilité d’ouvrir les autres sujets du tourisme parisien dont, évidemment, celui du tourisme LGBTQ+.
Pour valider cette option, l’exemple de la ville de Nice avec son action marketing « Nice Rainbow Côte d’Azur » fut donné en début de conférence. La ville de Nice propose effectivement des rendez-vous désormais bien installés dans le calendrier : Queernaval, Pink Parade, Dolly Party, … tous couronnés de succès de fréquentation, la ville ayant communiqué sans aucun tabou auprès de la cible LGBTQ+. 

Pourquoi le tourisme LGBT parisien ne décolle pas ?
La raison la plus évidente semble être que la capitale française n’a pas encore pris la mesure de ce qui se passe en Europe et de la concurrence marketing qui s’y opère actuellement, y compris dans certaines villes françaises de tailles très différentes. Comme dit plus haut aussi, à Paris, les évènements LGBTQ+ sont noyés dans une offre culturelle, de patrimoine, et d’évènements festifs et salons professionnels très dense. Et puis, il faut reconnaître aussi que Paris n’est pas une ville qui est administrée aussi simplement que des villes de taille plus modeste où la structuration administrative et politique est plus directe et plus simple. Les financements sont multiples, de la part d’institutions dont les orientations politiques et décisions stratégiques peuvent être contraires… Ce n’est pas comparable. 

Enfin, l’un des points forts des autres villes et pays européens, c’est la formation engagée par les offices du tourisme auprès des hôtels, entre autres, afin d’accueillir correctement les publics LGBTQ+. La France accuse un retard énorme en la matière.

Mais le non-engagement de nos institutions envers nos communautés LGBTQ+ et l’absence de financements à hauteur des besoins réels constituent malgré tout un argument partiel pour expliquer la situation. Notre communauté, sur la question du tourisme LGBTQ+, ne s’est pas encore véritablement structurée. Nombres de lieux évènementiels ou d’organisateurs ne sont hélas pas adhérents aux syndicats Culture Nuit ou SNEG & co et beaucoup d’entre eux n’ont pas prévu d’y adhérer, « préférant d’autres types d’organisations où l’expression est plus directe et plurielle » nous a-t-on dit lors de la préparation de ce papier… Malgré la difficulté – pour ne pas dire l’impossibilité – de réunir tous les acteurs, il y a là un chantier – complexe et chronophage – qui devrait être conduit parce qu’immuablement, le nombre fait la force et c’est cela qui permet de « sensibiliser » les institutions et les financeurs. La création de l’association Paris Diversité il y a quelques années aurait dû permettre d’engager ce chantier préalable, mais l’association souffre de manque de financements et de bénévoles. En attendant, en l’absence d’une coordination globale réelle, difficile pour les institutions de savoir si elles portent bien l’effort là où il est à la fois sensé et efficient.

Pour conclure, on peut dire que tous les éléments sont désormais sur la table. Les problèmes sont posés et les solutions simples à imaginer. Ce n’est plus qu’une question de volonté politique et de moyens financiers… dans un contexte budgétaire difficile qui vise hélas à diminuer les budgets de nos institutions et financeurs. Paris a malgré tout des atouts énormes pour devenir une destination phare du tourisme LGBTQ+. Il suffit de mettre le dossier en haut de la pile, de définir le projet et d’engager les discussions.

(1) Vous pouvez revoir la conférence « Tourisme LGBT et Nuit : des niches indispensables au succès d’une destination » sur 
Youtube =>  www.youtube.com/watch?v=ugXtaxXNLEA.
(2) Sondage réalisé par European LGBT Media Association auprès de 4 977 personnes.
(3) Quant aux droits LGBTQ+, la France est désormais classée en 13ème position dans les pays européens.
(4) En matière d’agendas, Strobo mag aura des nouvelles à vous donner dans les prochains jours, suivez notre Instagram !
(5) Voir le billet « Nos institutions françaises sont homophobes ».
(6) Page LGBTQ+ de Parisjetaime.com =>  https://parisjetaime.com/article/agenda-des-sorties-lgbt-paris-a650

 

Crédit photos Thomas Laconis

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