La conférence sur le tourisme LGBTQ+ parisien du 20 juin 2025 s’est terminée par la projection d’un clip vidéo promotionnel « Paris is proud », mettant en valeur le patrimoine et nos moments festifs communautaires. Avec quelques images très attendues : gastronomie, marches de fiertés, Gay Games, etc, et quelques accroches : 65 bars et clubs, 26 restaurants, 23 saunas et sex-clubs, Paris est une fête, etc… Un clip sommes toutes assez standard pour ce genre de sujet.
A la fin de cette conférence, les participants institutionnels échangent très rapidement. Ils et elles ont tou.te.s quelque chose à faire après et doivent s’éclipser vite… ce qui donnait le sentiment que chacun se sentait obligé de répondre favorablement à l’invitation, mais certainement pas pour y prendre ensuite des engagements (d’ailleurs, aucun des intervenants n’en n’a pris mais était plutôt venu défendre sa position). Mais parmi ces échanges, celui, très court, d’une personne travaillant chez Atout France (une agence de l’État qui a la charge du développement du tourisme en France) avec Rémi Calmon le directeur du SNEG and co (syndicat représentant les commerçant.e.s LGBTQ+ and co) a retenu toute notre attention parce que nous en avons été le témoin direct et qu’il décrit bien une partie du problème.
« Nous chez Atout France, nous pourrions diffuser le clip, mais à la condition de produire une version sans la référence aux 23 saunas et sex-clubs ». La réponse de Rémi Calmon fut spontanée : « dans ce cas, le Sneg and co ne pourrait y laisser son logo, il est hors de question d’invisibiliser une partie de nos adhérents et une partie de la communauté », le SNEG and co n’entendant pas cautionner une éventuelle censure de ce genre.
Censure. Le mot répond au caractère factuel de la situation, mais pas à son esprit et à sa construction. Il est trop faible. Il faut dire et nommer clairement les choses : nos institutions sont intrinsèquement homophobes. Bien sûr, je ne prétends pas que la personne qui a tenu ces propos est homophobe (il était évident qu’elle ne l’était pas, et d’ailleurs, si elle l’était, elle ne serait pas venue à cette conférence), mais l’institution qu’elle représente, par cet arbitrage, l’est factuellement.
Et c’est le cas de la plupart de nos institutions françaises qui cherchent, par souci de cohésion avec leur puritanisme interne, celui des haut-fonctionnaires de l’État et celui d’une belle part de notre classe politique française, à gommer toute référence à nos sexualités, à notre histoire et à nos identités profondes. Pire, elles cherchent ainsi à nous assimiler. Car c’est bien le sexe – notre orientation sexuelle – qui fait la différence avec l’oppresseur d’hier et d’aujourd’hui. Vous voulez être intégré.e.s dans la société ? Eh bien devenez comme nous les hétéros ! Ce schéma n’est pas celui de l’intégration mais celui de l’assimilation.
Nos institutions font aussi ainsi la démonstration qu’elles ne connaissent rien à notre histoire, ou pire, qu’elles cherchent à la réécrire en en gommant les aspects les plus gênants pour elles. A la source de nos Prides et plus globalement de l’évolution de nos droits, à commencer par celui de vivre nos identités et nos sexualités librement, il y a les émeutes de Stonewall dans le quartier de Greenwich Village à New-York. Le quartier de Stonewall à l’époque, ce sont aussi des bars avec des lieux sombres. Stonewall, ce sont des gays, des lesbiennes, des personnes transgenres, mais aussi des travailleur.euse.s du sexe qui sont se sont révoltées à la suite de contrôles d’identité répétés par la police, jusqu’au harcèlement. Stonewall n’était pas propre, policé et bourgeois, Stonewall était prolétaire, corrosif, sale et sexuel.
Nos institutions nient aussi notre histoire gay française, celle des rafles opérées par la police dans les bars-backrooms à Paris dans les années 70 avec des arrestations à la clé, celle des agressions subies jadis sur nos lieux de drague en plein air et même en pleine ville actuellement, elles nient l’histoire du sida, nos peines, nos morts et nos amours perdus. Certainement parce que tout cela est lié au sexe. Et aussi parce qu’en termes de marketing, ces histoires-là ne sont pas « vendables ».
Soit. Mais ce n’est pas une raison pour nous réduire à ce que nous ne sommes pas, une raison pour effacer une partie de nos identités, pour proposer une vision de l’homosexualité qui est un mensonge. Ces institutions, ainsi, nous stigmatisent et nous portent durablement préjudice.
Cette stigmatisation sournoise, cet effacement de nos identités, cette volonté d’assimilation forcée expliquent aussi le sentiment d’isolement, de solitude, d’homophobie, etc… vécus par les personnes LGBTQ+, et toutes les conséquences néfastes que cela génère (mal-être, suicide, chemsex, etc…). Comment vivre pleinement et librement si le territoire est par avance balisé, formaté sur un modèle inadapté et faux ? Comment vivre bien son homosexualité si le modèle proposé est codé sur l’hétérosexualité et le puritanisme ? Cette homophobie institutionnelle est feutrée, sournoise, quasiment imperceptible puisqu’elle opère par omission. Elle porte une grande responsabilité dans ce que sont nos souffrances quotidiennes conscientes et inconscientes, bien au-delà de ce qu’en imaginent les porteurs de ce logiciel.
Nos institutions font ainsi la démonstration du fait qu’elles sont parfaitement à l’aise avec l’homosocialité mais pas du tout avec l’homosexualité, vraie, pleine et entière. C’est une réalité systémique. Vous me rétorquerez qu’il est compliqué pour une agence de l’État, une institution, un ministère, d’assumer le caractère sexuel d’un mouvement minoritaire. Je vous répondrai qu’avec un peu de courage et de respect, la chose est tout à fait possible. Dans d’autres ministères, comme celui de la santé et des solidarités, chez Santé publique France et ses différents dispositifs comme Sexosafe ou QuestionSexualités, on nomme les choses, on traite les sujets, on respecte les communautés. Et vous savez quoi ? Cela emporte l’adhésion des publics concernés sur des sujets pourtant parfois délicats. Dans les autres pays d’Europe aussi, quand il s’agit de tourisme par exemple, le caractère sexuel de nos évènements et communautés n’est pas effacé, bien au contraire, il est souvent mis en avant pour montrer toute la diversité de nos communautés et attirer ainsi les touristes.
Et puis, il ne faut pas oublier que le marketing LGBTQ+ s’adresse d’abord aux publics LGBTQ+, pas à la famille catho qui va visiter le Puy-de-Fou, financeur de l’extrême-droite en France. Le positionnement et les valeurs doivent justement être différents et il faut enfin avoir le courage de l’assumer.
Tout cela finit par être discriminant, ou tout au moins ressenti comme tel par les publics LGBTQ+. Il y a culpabilité parce qu’il y a un choix. Même si cette homophobie sournoise et ces discriminations ne sont pas forcément conscientes dans nos institutions (encore que…) ! Il est temps de faire savoir haut et fort que nous ne sommes pas les les homosexuel.le.s qu’elles imaginent. Nos identités sont entières et indivisibles, même à des fins marketing.
Nous ne demandons rien d’autre que le respect de ce que nous sommes. Enfin.
Voir aussi l'article Strobo Mag "Le tourisme LGBT parisien au point mort"