Pourquoi et comment les personnes LGBTQ+ se mobilisent pour Gaza (1/2)

Xavier Héraud

Que ce soit sur les réseaux sociaux, dans les manifestations ou les prides, de nombreuses personnes LGBTQ s’engagent contre le génocide à Gaza. Nous avons lancé à un appel à témoins pour voir ce qui poussait des personnes LGBTQ+ à militer dans ce sens. 

Il n’était pas rare cette année, comme l’an passé, de voir des drapeaux palestiniens dans les prides. On a vu aussi, plus rarement, des drapeaux lgbt dans les manifestations pro-palestiniennes. C’est un fait : des gays, lesbiennes, bi.es , trans, queers se mobilisent pour la Palestine et contre le génocide à Gaza. Qui sont-ils/elles et quelles sont leurs motivations ? Tentative de réponse avec nos six témoins.. 

Hamza, de la mobilisation à la fatigue militante

Hamza est franco-palestinien. De parents palestiniens (dont un père engagé au Fatah, le mouvement de Yasser Arafat, qui est mort dans une prison israëlienne), il a grandi à Amman en Jordanie et avec sa famille se rendait régulièrement à Hébron, en Cisjordanie. 

Adolescent, il est attiré par le français. Il fait des études d’architecture en Jordanie, puis postule à Sciences Po Paris. Il est pris et arrive à l’âge de 28 ans. Il commence à se faire un réseau dans le milieu artistique. Quand il va en soirée et qu’on apprend qu’il est palestinien, la discussion tourne à la politique, à son grand agacement. 

Après le 7 octobre et la réponse féroce d'Israël, il ne peut plus éviter le sujet. Hamza fait « autant de manifs qu’[il] peut ». Dans les manifs, lui qui était plutôt discret, arbore une robe et un keffieh. On le remarque, il donne des interviews. Après ça, il se trouve à un open mic. Il prend le micro, fait des blagues et ça fonctionne. « J’ai continué à en faire, de plus en plus et en même temps participer à des conférences sur la Palestine », raconte-t-il. On l’invite à de nombreux événements, comme des drag shows : « A chaque fois que dans ces événements, j'ai été accueilli et reçu comme une star. »

Aujourd'hui, l’artiste franco-palestinien se dit fatigué : « maintenant, je fais une petite pause parce que je suis trop déprimé, fatigué. Je suis en mode survie. Ça a duré trop longtemps. » Même les soirées de soutien sont au dessus de ses forces : « je n’ai plus l'énergie de le faire, parce que rentrer dans un état festif me paraît juste malade, je serais un malade mental si maintenant moi je me trouve à sortir danser publiquement. » 

Et puis hier, une manif est passée en bas de chez lui… : « Et c'était trop bien, c'est un rappel qu’on n'est pas seul, qu'il y a toute cette empathie et cette compréhension, qu'il n'y plus besoin d'expliquer aux gens, comme à mon arrivée ce qui se passe en Palestine. »

Osmose, mobiliser et éduquer sur Instagram 

A l’instar de la danseuse Habibitch, Osmose communique énormément via son compte Instagram , suivi par 24 000 personnes. 

C’est une de ses meilleures amies, syrienne-palestinienne qui l’a initié à la situation de la Palestine. 

« Très tôt, j’ai boycotté, par exemple. Ça fait très longtemps que je ne suis pas rentré dans un McDo parce qu’elle m’avait informé (des liens de McDonald’s avec Israël). » Il se souvient avoir tagué des affiches de la marque vers 2015 et avoir manifesté. 

Comme pour tous les autres, le 7 octobre a été un moment charnière.  « Quand le 7 octobre est arrivé, j’avais l’impression de n’avoir jamais milité, indique-t-il. Et je n’avais jamais milité — activement.  Le 7 octobre et ce qui s’est passé après ça nous a toustes engagés en ligne. Il s’est passé quelque chose dont on était témoin, d’une certaine manière. Ce qui fait que nos corps incarnent ce qu’il se passe et il n’y a pas de possibilité d’être dans l’indifférence. En tout cas, moi je n’ai pas eu cette possibilité-là. »  

Sur son compte instagram, il « fait de la traduction et amplifie les personnes concernées. » « Je me focus aussi sur le fait de donner des moyens d’actions, de partager des ressources, ajoute-t-il (...) Pour que les gens agissent concrètement, il faut déjà qu’iels réalisent. Et pour qu’iels réalisent, on a besoin d’éducation. Et pour que l’éducation soit vue et connue, il faut construire des outils pour faire circuler l’éducation. »

Il vit dans un « coin paumé », donc pas simple de se mobiliser en dehors de chez lui, mais il y travaille : « Je commence à avoir une base et du coup ça passe par plein d’étapes, créer du lien avec les gens autour de soi, créer des relations, de l’amitié, du soutien ou être là quand ça ne va pas. » 

En dehors des réseaux sociaux, il organise des soirées des cabarets où chaque fois il y a un pot à donation pour tout un tas de projets. 

Les inverti.e.s, queers et marxistes

Militer seul.e, c’est bien, en groupe, c’est encore mieux. Créé en 2022, le collectif Les inverti.e.s militait déjà sur la question palestinienne avant le 7 octobre. Mais cet événement et tout ce qui a suivi a été « un catalyseur à gauche sur la question palestinienne », indique Hayan, membre du collectif et Les inverti.es n’y ont pas échappé. 

Le collectif aborde la question sous l’angle moral, mais surtout politique : « pour nous, Israël, c'est une colonie de peuplement, explique Hayan. C'est un projet colonial implanté dans la région par des forces impérialistes. Donc la question palestinienne, c'est un cadre où la question d'Israël, c'est une question coloniale. Donc on la traite d'une façon anticoloniale. »

Concrètement, renchérit le militant : « on porte la revendication historique des Palestiniens, qui est un seul état non confessionnel, démocratique en Palestine entière, où Arabes et Juifs peuvent vivre tranquillement. »

Le collectif milite à la fois dans les milieux ou manifestations pro-palestinienne et dans les espaces queers. Un positionnement qui tient à l’identité même du groupe : « on a l'identité queer mais aussi on a notre identité marxiste. Pour rester fidèle à cette identité, on prend ces questions aussi d'une manière globale, on prend ces questions-là comme une manifestation globale de la lutte des classes, de l'impérialisme, du colonialisme présent. Donc pour nous c'était évident d'articuler les deux sujets d'une façon commune, de poser des questions palestiniennes dans des mouvements queer et les questions queers dans les autres mouvements. » 

Emily Tante, le drag en soutien à la Palestine

On a souvent pu la voir aux côtés des inverti.es en manif ou lors de débats. Emily Tante, l’une des des drags les plus engagées de la scène parisienne (d’où son nom…) a l’habitude des collectes de fond : elle co-organise chaque année le Sidragtion. Pour la cause palestinienne, elle fait la même chose, avec notamment le concours de drag arabes comme La Kahena ou Bad Rainbow, qui est franco palestinienne, ou de drags qui viennent simplement soutenir, comme La Briochée.

Pour la drag militante, les collectes permettent de faire quelque chose de concret et de « dépasser les prises de positions sur les réseaux et les participations aux manifestations », parce que, estime-t-elle : « c’est un peu le seul moyen que les gens ont en termes de soutien aux personnes gazaouis et aux palestiniens en général ». Elle poursuit : « Le nerf de la guerre, ça reste l’argent, je le vois avec Sidragtion et les autres collectifs que je fais en général. Quand tu viens voir un spectacle tu as l’habitude de payer. Et pour les artistes, accepter de ne pas se faire payer aussi c’est important, de temps en temps dans le cadre d’une collecte. »  

Mobiliser les drags, « ce n’est pas si compliqué que ça » : « Tout le monde a un peu la volonté d’agir. Surtout quand on voit des images d’horreur, c’est difficile de se dire qu’on ne peut rien faire et qu’on ne peut pas agir. »

Nathan, porter une voix juive et LGBT contre le génocide

Nathan s’intéresse à la question palestinienne depuis qu’il a commencé à militer dans les quartiers populaires, vers 15 ans. Il en a aujourd’hui 20 de plus. Le militant, aujourd’hui adhérent à EELV,  a grandi au sein d’une famille juive de gauche, « qui n’est pas contre Israël mais qui sans être dans l’antisionisme considère que ce qui se passe là bas n’est pas normal ».

Il a été marqué par un voyage en Israël et en Cisjordanie, notamment dans la ville d’Hébron, dont le centre ville était occupé à l’époque par 500 colons. 

Après le 7 octobre, mal à l’aise avec certains mots d’ordre ou certains textes « faits pour que les juifs ne puissent pas se mobiliser aux côtés de ce mouvement-là », il prend ses distances et préfère s’investir dans un mouvement de soutien à Standing Together. Cette organisation israëlienne composée de juifs et d’arabes milite activement contre l’occupation de la Palestine par Israël et joue un rôle de premier plan dans les manifestations régulièrement organisées dans le pays. 

Le militant croit fermement que « la solution est avant tout dans la société israëlienne » : « ça ne se gagnera que quand Netanyahou partira. Plutôt que justement mettre tous les Israéliens dans le même panier et finalement les rallier à Netanyahou parce qu’ils vont se dire que finalement si la solidarité avec la Palestine, ça se fait sur des bases antisémites autant se réfugier avec notre leader suprême complètement fou. Alors que justement, l'approche de Standing Together, c'est de dire : on peut faire quelque chose. » 

Nicolas, contre le culture washing

Nicolas, de Marseille, s’est politisé très tôt vers 14 ans et s’est initié à la question palestinienne à la ZAD de Notre Dame des Landes, qu’il a fréquenté au cours de son adolescence, et plus tard aux comités de rédaction du magazine Siné Mensuel, où il a effectué un stage de journalisme. 

Depuis l’année dernière, Nicolas se mobilise contre le culture-washing. Il dénonce le mécénat des entreprises « complices du génocide et qui sont à boycotter ». Dans son viseur, Axa, qui finance notamment le Festival d’Avignon, et Digital Realty, l’un des mécènes du Mucem. 

Il nous raconte notamment être intervenu dans une conférence pendant le Festival d’Avignon intitulée « Quel rôle pour les festivals internationaux en temps de polycrise ? » 

« Sur scène, il y avait le patron du festival qui en plus est vraiment médiatiquement officiellement engagé contre le génocide. On était là pour appeler à une cohérence là-dessus et donc se défaire de ce partenariat qui était AXA. » Peine perdue. « Après il nous a expliqué que c'était grâce à l'argent de AXA qu'il arrivait notamment « à inviter des arabes ». C'était ses mots, donc il a vraiment officialisé, explicité le culture washing », se souvient Nicolas.  

Récemment, avec son collectif il a mené une action similaire au Mucem, financé par l’entreprise Digital Realty, qui construit des data centers, notamment en Israël. Ils ont obtenu un rendez-vous avec le président du musée à la rentrée. « Sans doute pour avaler des couleuvres », plaisante-t-il. 

Lire la suite de notre dossier : Pourquoi et comment les personnes LGBTQ+ se mobilisent pour Gaza (2/2)

Photo: Brussels Pride 2024. Xavier Héraud.

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