Tétras Lyre ou faire la paix avec soi

Alexis Massoutier

Après avoir chroniqué son œuvre ici, nous avons rencontré David Combet, auteur de La mise à mort du tétras lyre, pour revenir sur ses inspirations, ses choix artistiques et les thèmes forts de son roman.

Comment t’est venue l’idée de cette histoire ?

L’idée de cette histoire m’est venue à une période où j’étais en thérapie. Je réfléchissais à mes souvenirs de jeunesse, et entre deux séances, j’ai commencé à écrire des choses. Petit à petit, cela a pris la forme d’un mélange d’histoires avec des scènes clés qui se posaient naturellement. Ensuite, c’est devenu un projet que j’ai gardé pendant trois, quatre ans avant de le proposer à des éditeurs. Pendant ce temps, l’histoire s’est construite et les thématiques se sont greffées à elle, comme avec la confrontation du fils gay, vegetarien et artiste avec son pere. 

Pierre, ton personnage principal, semble très intime et réaliste, est-ce qu’il te ressemble un peu ?

Sur certains aspects, oui. Le récit se passe dans la montagne savoyarde où j’ai grandi, et je vis à Lyon, comme le personnage. Nous sommes aussi tous les deux très introvertis. Ce n’est pas une biographie, même si le personnage est un peu construit à partir de mon vécu, mais aussi de celui de mes proches et de personnages que j’ai pu découvrir en lisant, et qui m’ont enrichi pour le construire.

Le titre est à la fois doux et brutal. Pourquoi avoir choisi La Mise à mort du tétras lyre ?

Je voulais me réconcilier avec mon histoire familiale, qui tourne beaucoup autour de la culture savoyarde et, du coup, de la chasse. Le titre est venu tard. J’ai choisi le tétras lyre car c'est un oiseau qui est un des symboles de la Savoie, très fragile, avec une forme est assez chic et poétique, avec sa queue en forme de lyre. Il représente aussi l’identité queer de Pierre avec ces aspects... qui seront révélés à la lecture. Le titre a un côté doux et brutal, pour faire écho à l’album. Il y a aussi un travail sur la nuance, pour essayer de comprendre le père de Pierre.

Il y a une scène marquante où Pierre se retrouve enfermé dans les toilettes avec un autre garçon, qu’as-tu voulu raconter à travers ce moment-là ?

L’album parle de domination et de projection du male, qui sont des éléments importants dans la culture viriliste .Il y avait toute une question de domination de ses émotions et de projection de ses désirs sur les autres, comme le montrent le père et le garçon dans les toilettes, qui ont des façons d’agir similaires, meme si c'est deux situation bien differentes. Ce qui se passe dans le WC est une scène dure, mais c’est un point de bascule. La chanson de Sébastien Delage, Sport, résume bien l’idée de projection sur l’autre et de pression sociétale. À écouter, car elle fait écho à ces deux histoires.

On voit aussi à travers cela que nous sommes tous liés par des histoires communes dans notre vécu queer, avec des résonances dans les parcours individuels.

Tu parles beaucoup de la sensibilité masculine, souvent mal comprise. Qu’est-ce que tu voulais faire passer à travers ce thème ?

Montrer que la masculinité est multiple. Je voulais représenter plusieurs personnalités, y compris dans la référence artistique. Il y a des références dans mes illustrations, comme Pierre et Gilles, par exemple. Sur les pages 166‑167, il y a ce quadrillage tout en rouge sur des morceaux du corps du gardien de la soirée, et cela s’inspire des collages de Polaroid de David Hockney. Tout un travail est fait sur la perspective par l’artiste, sur les paysages et les portraits, et pour le coup j’ai utilisé cela pour mettre en place une scène de séduction où le regard va se poser sur plusieurs éléments : le visage du personnage et son corps.

Tout ce qui va permettre d’assumer notre part de sensibilité est lié à l’éducation reçue de nos parents. La manière de se révéler s’apprend avec le temps.

Tes couleurs sont très douces, même quand l’histoire est dure. Comment tu as trouvé ce juste équilibre entre douleur et tendresse ?

J’aime beaucoup travailler la couleur, c’est un outil narratif important pour moi. Cela permet d’amplifier l’intention de la séquence. Je m’inspire notamment de la photographie argentique ou des Polaroids : avec l’argentique, l’image est un peu vaporeuse, ce que le numérique ne donne pas. En lien avec l’histoire, cela évoque davantage des souvenirs et des sensations qu’un réalisme strict. Un souvenir marquant est plus une sensation qu’un événement très réaliste et naturel, et c’est ce que j’essaie de transmettre avec la peinture, en donnant un aspect vaporeux voire flou.

Et pour finir, qu’aimerais-tu que les lecteurs et lectrices ressentent ou retiennent après avoir refermé le livre ?

J’aimerais que les lecteurs et lectrices prennent le temps pour eux-mêmes, pour évoluer et s’ouvrir à leurs émotions. Ce sont des choses que je me suis dites à la fin. On voit le protagoniste se connecter à lui-même et affirmer ses sensations, et aussi commencer à évoquer ce qu’il ressent, comme son passé avec son père. Le reste est dans le livre.

 

La mise à mort du tétras lyre de David Combet Ed.Glenat, 29€

 

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